89.
NO
CHANCE [LOU
REED]
J'ignore
pourquoi mais, partout, il
semblerait que les gens doivent absolument
se
remettre de leurs émotions (sous
peine de je ne sais quoi).
Avec
Olympia, nous fîmes tout ce qui était en notre pouvoir pour
continuer
à baigner
dans les nôtres, et c'est avec délice que nous retrouvâmes
cette
chère villa
pour la première répétition de la rentrée... Mais j'entends le
lecteur qui s'impatiente toujours davantage : «
Assez d'atermoiements et de digressions, il arrive quand, ce nouveau
chanteur ? »
Il
nous fallut patienter encore cinq
mois,
mais il débarqua au moment où
nous n'osions quasiment
plus
l'espérer. Richard était le voisin de la marraine de la meilleure
amie de la nouvelle copine de Cyril –
ou un
machin dans ce goût-là ! Selon cette dernière, il chantait comme
un jeune dieu (rien
que ça).
Dès qu'il entra dans la pièce, Isidore eut
un geste de recul, puis il me
souffla
: «
C'est
quoi cet olibrius
déguisé en Robin
des
Bois sportif ? » L'habit est sensé ne pas faire le moine, n'empêche
qu'un chanteur en polo Lacoste vert –
j'étais
d'accord avec Isidore –, ça faisait
plutôt
mauvais
genre !
Chris
lui demanda quels groupes il aimait en particulier. Le gars répondit
benoîtement
qu'il
adorait les Beatles. Quand
Polina lui proposa de pousser un peu plus loin, il nous avoua qu'il
possédait également quelques disques de John Lennon et de Paul
McCartney. Un
temps, je crus qu'il voulait faire de l'humour mais, en vérité, il
ne
connaissait rien
d'autre et, chaque fois que nous tenterons de lui faire écouter
autre chose, il ânonnera toujours la même réponse :
« Ouais, c'est pas trop mal, mais ça vaut pas les Beatles. »
C'est
une
sorte de miracle qu'il
ne soit
pas parvenu à nous gâter
le goût...
Nous
nous mîmes en place sans
y croire une seule seconde.
Je
le revois encore,
grand dadais timide, planté comme un piquet devant le
micro
et
tenant maladroitement mon
texte en main. Et
puis, il ouvrit grand la bouche. Et puis, le monde bascula...
A
défaut de jeune dieu, « Robin des Bois » chantait
comme un David Bowie en un peu plus « mâle ». Sans jamais donner
l'impression de forcer (il
paraissait même embarrassé d'avoir autant de talent),
il atteignait les notes les plus hautes comme les plus profondes.
Polina
tomba amoureuse avant le premier refrain et, à la fin de la chanson,
il me sembla que les
frangins
se retenaient
d'aller lui baiser les pieds.
Olympia
lui demanda
ce qu'il pensait des paroles. Il la
regarda d'un air niais avant de répondre qu'il les trouvait :
« sympas
» (le
pire des faux compliments).
Ce
fut la
première
et l'unique
fois où
il daigna
en
dire un mot (un seul !),
et
il ne fut jamais plus loquace en
ce qui concerne
la musique.
Une
petite voix intérieure m'accusa de jalousie. Je lui assénai
un
méchant
coup
de tambourin
sur l'occiput
et
ne
l'entendis plus
moufter
!
Malgré
les réticentes
d'Olympia
(que je fus sans doute le seul à sentir filtrer) et les grimaces
d'Isidore,
le gars fut enrôler sans l'ombre d'une concertation.
Richard
refusa
poliment
de passer la soirée en notre compagnie, comme il le fera toujours
par la suite...
«
Nous tenons
enfin notre chanteur,
hurla
Guillaume
dès
qu'il
fut
parti,
nous allons
enfin pouvoir décoller
!
– Décoller
pour
foncer
droit
dans
le
mur,
lui
répondit
Isidore.
Je pense que nous sommes tous d'accord pour admettre qu'il possède
une voix merveilleuse, mais vous allez faire
comment
le
jour où il voudra
monter
sur scène
avec
son
polo vert
? Ce grand nigaud ne sait
même
pas
que
le
vert
est proscrit
pas les artistes
(comme
par
tous
les
gens
de
goût,
soit
dit
en passant).
– Il
suffira
juste
d'instaurer
un code de
couleurs,
imagina
Polina,
vu
notre
nombre,
c'est
une
obligation
si
on
veut
pas
ressembler
au
Big
Bazar
!
– J'espère
que vous avez également pensé à un code passionné de musique,
très chère, parce que je suis certain qu'il ne possède pas vingt
disques dans ce qu'on ne peut même pas appeler sa
collection... Je
ne comprends pas qu'il ne vous ai
pas sauté aux
yeux que ce type ne
vous ressemble pas et qu'il n'est pas fait pour la bande.
– Toi
non plus, tu nous ressembles pas : tu vouvoies tout le monde, tu
portes des costards trois pièces, tu préfères le jazz et
le classique au rock et, pourtant, tu fais parti de la bande et on
t'adore tous
! Richard
a l'air timide, c'est sa première expérience en groupe, tu pourrais
peut-être lui laisser une chance avant de le juger. »
Une
chance ? Aujourd'hui, le mot résonne comme le cri d'une petite fille
mangée par un incendie...
14 commentaires:
C'est un chapitre qui, pour une fois, est très narratif, comme si tu avais tout fait pour retarder l'échéance. Et tu t'en tires très bien.
Par contre, le titre de Lou Reed donne une drôle de dimension à tout ça.
Oui, j'ai beaucoup tourné autour du sujet pour être très narratif d'un coup histoire de relancer la machine, mais sans trop en dire pour autant.
j'ai hésité pour le titre, j'ai choisi de garder l'idée de la fin: c'est celui qui donnera le ton à la suite, même lentement.
Marrant, ce Richard des bois (sympa, c'est déjà pris). Il peut encore tout arriver dans cette configuration, belle ouverture, Jimmy !
Le sympa, c'est du vécu. Quand tu présentes ce que tu as fait, je crois que je préfère encore quelqu'un qui me dit qu'il déteste!
Yo !
Le rapport entre une belle voix et un bon chanteur est le même qu'entre savoir parler anglais et peler les patates (dans les Bidasses en Folie, à chacun sa culture...)
Bon, je tenais juste à la placer celle-là.
A toi de jouer grand dadais lacostifié de vert, surprends-nous !
Les Charlots (qui s’appelaient encore Les problèmes) furent les seuls à oser une reprise de "Satisfaction" alors qu'ils faisaient la première partie des Stones (lesquels mirent plusieurs jours à s'en apercevoir)!
Les Charlots osaient c'est indéniable !
Je suis bien trop jeune (hem...) pour les avoir vus sur scène mais j'ai vu Luis Rego en spectacle avec notamment un sketch sur les avantages de la guitare électrique par rapport à l'acoustique, électricité qui nous ramène à nos moutons !
le dadais qui adooooooooooooooooooooooooooore les beatles... qui ne connaît rien à rien et que tout le monde adore parce q... ça me fait penser aux grand brun ténébreux de boulet (et c'est un compliment)...
après autant d'attente tu t'en sors plus qu'honorablement (c'est "sympa" ^^)
pour moi reste surtout "
Une chance ? Aujourd'hui, le mot résonne comme le cri d'une petite fille mangée par un incendie... "
qui fait plaisir à lire !!!!
vraiment ça claque comme un étendard ça !
"Richard était le voisin de la marraine de la meilleure amie de la nouvelle copine de Cyril" ... ah mais ok, je connais ce mec (mon cousin a bossé avec la tante du gars qui vend du cidre au marché de Plougastel et qui justement flirte avec la marraine dont tu parles, alors tu vois le monde est petit).
Non, pas d'inquiétude, il est super ('sympa'), on ne m'en a dit que du bien.
Et puis surtout, ne pas se fier au polo, en plus si ça se trouve c'est un faux que son oncle lui a rapporté de Gambie.
Et puis s'il avait eu des franges sous les bras, on aurait imaginé Robert ou Roger (*), alors que Richard ça laisse perplexe.
Et puis, et puis ... ben merci pour cet épisode, et puis vive les Stones (il connait les Stones Richard ?)
* Plant ou Daltrey (vous aviez deviné)
ça se met en place et cela prend de l'épaisseur. Le groupe existe sous mes yeux, j’imagine la naissance d'un Talking Heads moins la morgue NY (mortel) l'apport d'instrument qui sonne Europe, une modestie pleine d'enthousiasme. Et l'auteur qui évite que le chanteur ne vampirise le groupe par son charisme, déjà jaloux l'auteur? Hein? Ou bien il prépare un ...
La menace plane cependant....
Hello Yggdralivre,
De temps en temps, j'ai des fulgurances (cela dit en toute modestie)!
Hi Nestor,
Grand prix du commentaire marrant du mois!
Hola Devant,
Tu entends ce qui te fais plaisir, mais ça devrait davantage ressembler au premier Tindersticks avec des nerfs. Le narrateur est peut-être jaloux, mais surtout gêné.
Hello Arewenotmen?
Et comment!
.. ha oui, il me faudra profiter de ta réponse qui revient pour me faire les Tinder que j'adore...
Ouh la la ! Ça bouge ! J'ai hâte de connaître la suite.
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