mardi 10 novembre 2015

Pour la beauté du geste (feuilleton électrique) par Jimmy Jimi # 98


98. GHOST ON THE HIGHWAY [THE GUN CLUB]

   Au deuxième titre, le monde a déjà bien changé. Ce serait mentir d'écrire qu'on a l'impression d'être né sur les planches, mais on prend vite de l'assurance. On a de l'eau jusqu'au cou et comme on s'est aperçu que l'océan ne mordait pas, tout va considérablement mieux; la vilaine frousse s'en est allée se ravaler la frimousse en attendant patiemment le prochain concert...

   Nous continuâmes avec ce qu'Olympia et Isidore appelait notre tube...
   Dans un entretien demeuré célèbre, Jim Morrison, qui ne dédaignait pas les déclarations tapageuses, avait lancé à la face d'un journaliste interloqué : « Nous ne sommes pas des musiciens, nous sommes des politiciens érotiques. » La formule n'avait pas atterrie dans l’œil d'un sourd ! Il me semblait qu'elle méritait de se transformer en chanson. (Je ne résiste pas à l'envie d'ouvrir une parenthèse pour vous offrir une citation ressemblante et livrée par Christian Vander de Magma : « Je ne veux plus qu'on m'appelle musicien, je suis un combattant de la zeuhl. » !)

   J'introduisis le titre au bodhràn (tambour sur cadre joué avec un stick et fréquemment utilisé dans la musique irlandaise) avant d'être rejoint par la trompette d'Alphonse. Le reste de la troupe entra vaillamment sur le premier couplet : « Les singes se signent / Moi dans un jardin cruel / Elle dans un parc torturé / Et nous voilà piégés / Comme des oiseaux de malheur / Sous le regard des lunes ! » Jusque là (à l'exception d'un petit pas de danse frôlant dangereusement la bassine bouillante du ridicule), Richard fut parfait, mais il se retourna en gesticulant comme un affreux pantin désarticulé et grimaçant avant l'arrivée du deuxième couplet. D'abord, je crus qu'il nous offrait la suite de son étrange chorégraphie, puis je compris qu'il avait mangé le texte. Polina le fusilla du regard mais le manqua (de peu). Je saisi mon micro et braillai comme je pus : « Nous remplacerons l'ambition par des rêves / Nous remplacerons la honte par l'innocence. » L'honneur était sauf et notre ahuri se ressaisit sur le refrain. Hélas, le mal était fait. Les vielles douleurs ne rêvent que de se réveiller. Ma bouche collée à la grille du micro le temps de deux phrases naïves et les démons dansaient à nouveau sur le plafond. Je fus à deux doigts d'éventrer la peau de mon instrument, comme on déchire les photographies et les lettres d'amour d'une fiancée envolée. On s’accoutume trop vite, même brouillés par les ondes d'une oreille déficiente, entendre sa propre voix, ses propres mots résonner dans un micro peut s'avérer aussi dangereux que de respirer les fragrances empoisonnées d'un narcisse. Il était hors de question que je sorte de l'autoroute électrique en me laissant aspirer le jus de cervelle par la sérénade malsaine de quelque fantôme.


   Pendant une nouvelle salve d'applaudissements, Isidore m'aida à installer ma cymbale à archet pour le titre suivant...

 

24 commentaires:

Till a dit…

Du chaos nait la beauté. C'est vrai depuis le big bang, ça a été confirmé par les Ramones.

Tiens tiens tiens me dis-je à la lecture de cet épisode. J'ai déjà rencontré Les politiciens érotiques.

Till a dit…

Quoi ? Moi preums ? Je note la date.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Till,
Si tu aimes le chaos, tu risques d'apprécier la suite...
Oui, je me suis servi de mes propres titres de chansons, ça donne un peu de crédibilité à l'histoire.
Tu es le premier, mais ça ne t'excuse pas des chapitres que tu as manqués!

Till a dit…

Mais grâce à la magie d'internet j'ai des séances de rattrapage.

Jimmy Jimi a dit…

Le principal, en effet, c'est que tu sois revenu, pas comme d'autres vauriens!

Everett W. Gilles a dit…

Z'êtes mignons tous les deux, désolé de vous interrompre ...
Mais Jimmy tu le vires le chanteur, épicétout !!
Tu le coinces entre l'archet et la cymbale, je sais pas, un truc comme ça quoi.
A propos de citations, j'en ai une aussi : ''you never get a second chance to make a first impression''

Arewenotmen? a dit…


« LA BEAUTÉ SERA CONVULSIVE OU NE SERA PAS»
(André Breton)

Jimmy Jimi a dit…

Hello Everett,
Dans la vraie vie, c'est ce que j'aurais fais, mais pour un roman, je vais compliquer l'affaire!

Hi Arewenotmen?,
Breton, cet assassin de suicidaires!

Audrey a dit…

Décidément, cette scène du concert, tu l'as vécu très fort car tu arrives effectivement à nous faire vivre le déroulement séquence par séquence. Ses petits accidents. Ses doutes et certainement ses illusions...
Mais qu'importe les autres, on les em****. Vas-y, Jimmy, chante-nous ta chanson!!!
"J'ai pour me guérir du jugement des autres toute la distance qui me sépare de moi-même."
Antonin ARTAUD

Arewenotmen? a dit…

Merci Audrey pour cette citation d'Antonin Artaud, que je ne connaissais pas.

Jimmy, cette phrase m'est venu spontanément à la lecture de ton texte...

Till a dit…

Mince c'est un concours de citations ici ?
Ok, je vais consulter mon recueil...

Jimmy Jimi a dit…

Hello Audrey,
Cette scène, je l'ai vécu uniquement dans ma tête (là où je brouillonne beaucoup) car ma bio est tout autre.

Hi Arewenotmen?,
Je n'aime pas beaucoup Breton; pour moi, c'est une sorte de vilain voyeur qui poussait les autres vers des extravagances tout en restant dans son fauteuil. C'est ainsi qu'il ne rendit jamais visite à Artaud (que j'adore infiniment) à l’hôpital sous prétexte que le pauvre chéri avait peur de basculer lui-même dans la folie...

Hola Till,
Rien que pour toi, une autre d'Artaud (de mémoire): "Et vous tous, les êtres, j'ai à vous dire que vous m'avez toujours fait caguer et allez vous faire engruper la moumoute de la parpougnette, morpion de l'éternité." ça en jette, non?!

Keith Michards a dit…

Ça devient chaud !

Jimmy Jimi a dit…

Hello Keith,
Moins que tu ne deviens bref!

Anonyme a dit…

c'est tout de même mieux les lettres que l'on déchire (par rapport au guidon... oui, je n'en démord pas ^^... je taquine)...

j'ai bien aimé, mais (mon dieu un "mais") j'aurais aimé un chouilla plus long sur le trou du chanteur sur le moment de flottement... mais bon en plus de taquiner je pinaille faut croire.

en tous les cas, on est bien dedans ! et je suis content que tu fasses durer...

ça viiiiiibre !

Till a dit…

@Jimmy : ça en jette oui. Très puissant, très Artaud.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Yggdralivre,
J'entends ta remarque mais, sur le passage en question, il me semblait important de conserver au mieux la vitesse de l'action et je ne me voyais donc pas allonger un moment qui ne pouvait durer que quelques secondes.
En fait, je n'essaye pas de faire durer, ce sont les circonstances qui s'imposent d'elles mêmes.

Till a dit…

Au fait Jimmy, quel titre pour cet épisode ! J'ai des frissons quand je pense à cette chanson.

Jimmy Jimi a dit…

Tu sais comme je suis amoureux du Gun Club, j'ai même modifié une partie de mon texte pour que le titre se justifie un peu plus!

nestor b a dit…

Excellent ! vas-y, fais durer le plaisir. Deux morceaux, ça y est on est à fond, continue ! je m'emballe, mais tu l'as cherché.
Vas-y chante ! chante et mets tes b... ouh là je m'égare, désolé.

Merci pour cet épisode.

Ps: Citation dédiée au narrateur : "Je n'ai jamais voulu être peintre, je voulais être danseur de claquettes" Andy Warhol

Jimmy Jimi a dit…

Hello Nestor,
Merci pour ton commentaire toujours aussi élogieux.
Moi, j'ai voulu être chanteur, écrivain, peintre et deux ou trois autres bricoles dans ce genre: résultat, je fais semblant de bosser tout en tenant ce blog!

DevantF a dit…

Une semaine, un titre une urgence au ralenti ...
"Politicien érotique" le Morisson qui rêvait d'être Elvis à la place de Elvis. Je ne sais pas si c'est la traduction qui ne rend pas bien la citation. Passons.

J'admire comment tu as su placer une histoire dans l'histoire; Il y a le concert mais il y a surtout la relation entre les musiciens. Dans le chapitre précédent j'étais dans la salle, mais maintenant je suis sur les planches, une petite souris qui attend avec impatience...

Jimmy Jimi a dit…

Hello Devant,
C'est gentil d'avoir pris la peine de rattraper le retard.
Au prochain, tu empoignes le micro!

DevantF a dit…

Ha ha, tu sais les petites souris sont curieuses mais timides, c'est à ça qu'on ne les reconnait pas.