lundi 7 mars 2016

Pour la beauté du geste (feuilleton électrique) par Jimmy Jimi # 106


106. EMOTIONAL RESCUE [THE ROLLING STONES]

   Olympia me sauta dessus et me couvrit de baisers, sitôt le concert terminé, comme si j'étais le héros d'une improbable campagne.
   « Alors, mon Jimmy, c'était comment, tout là-haut ?
   – Pareil qu'avec toi, un peu mieux à chaque nouvelle chanson ! »

   Un type aux manières étranges, que je n'avais encore jamais vu, avec l’œil noir d'un marchand de cauchemars, attendait que nous en ayons fini avec nos roucoulades pour me parler.
   « J'ai beaucoup aimé tes percussions en forme de grain de poivre qui expédie l'affaire dans une autre dimension sans avoir l'air de trop y toucher, mais je regrette que t'aies pas été davantage derrière le micro. Le chanteur a une voix magnifique, pourtant, je sais pas bien expliquer le pourquoi du comment, on sent tout de suite qu'il est pas sur la même longueur d'onde que le reste du groupe. Je voudrais pas vous filer la poisse, mais je le sens pas du tout... »

   Il y a des gars, comme ça, on croit qu'ils ont la vue sombre, mais, en fait, ils possèdent un troisième œil. Isidore nous avait déjà longuement tenu le même discours mais venant d'une personne extérieure à la bande, c'était particulièrement troublant.

   Si (et seulement si), on écoutait la voix de l'évidence (et du courage) au lieu de se planquer la tête dans un tas de sable reniflant l'illusion et le pipi de chat, alors, peut-être, que la trajectoire de la flèche pourrait être modifiée. Polina, Chris et Cyril se tenaient devant la loge, buvant les compliments de leurs premiers fans, comme s'ils tétaient le lait des anges à même leurs seins. Ce n'était pas le moment de gâcher la fête et encore moins l'heure de sonner la révolution. Je savais déjà que, le lendemain, je ferai semblant de ne jamais avoir entendu les mauvais présages de ce type, et que je m'efforcerai de croire que l'urine de félidé à une chance de se transformer en divin nectar. L'immense problème quand on commence à transiger avec la lâcheté, c'est qu'on en paye souvent le crédit toute sa vie.

   Jiri Smetana, refusant de croire que c'était notre premier concert (ce qui est un chouette compliment), nous félicita pour notre prestation avant de nous offrir notre cachet de rock stars : trois tickets de boissons et une carte de musicien nous donnant droit à l'accès gratuit du club pendant un an !
   Richard avala trois jus d'abricot à la file (je n'ai rien contre les jus de fruits, mais je connais plus festif !), puis nous faussa compagnie au prétexte d'être en forme pour le concert du lendemain. J'ai souvent trouvé qu'on n'en faisait trop sur la rock'n'roll attitude ; là-dessus, nous étions tranquilles, il ne risquait pas de nous faire une overdose dans les toilettes avant un set ! (On se console comme on peut, on se console tant qu'on peut...)

   Nous délirâmes joyeusement une bonne partie de la nuit et je ne fus pas en reste. A cet âge, on peut dériver vers la mélancolie la plus sombre, puis chevaucher toutes les chimères avec la même innocence et dans le même quart d'heure.

   Parfois, je parviens à y repenser avec une infinie tendresse, alors que, d'autres jours, je me retrouve en équilibre précaire au bord de l'apocalypse émotionnel...

   Nous nous réveillâmes comme tout bon rocker après un concert : à quinze heures du matin ! Cela déplut fortement à Richard qui nous gourmanda pour notre manque de professionnalisme. Quand Polina lui fit remarquer qu'il s'était peut-être trompé de sport, tout le monde s'esclaffa allègrement. Dans l'existence, il faut savoir profiter de chaque rire afin de contrebalancer avec les longues et douloureuses périodes de disette...



   

19 commentaires:

Keith Michards a dit…

Joli point-virgule avant le prochain épisode qui laisse imaginer encore bien des pirouettes et des cacahouètes !
J'attends avec impatience (et excitation !) un (hypothétique) chapitre sur les groupies attendant, poitrine au vent, la sortie des artistes. Le p'tit Koule est casé, mais faut penser aux copains ! Une rock star sans groupie c'est un peu comme une pizza sans anchois… ça manque de saveur !!!

Jimmy Jimi a dit…

Hello Keith,
C'est le souci des groupes qui possèdent une manageuse et une ou plusieurs musiciennes: ça fait fuir les groupies!

Everett W. Gilles a dit…

Bah nous on est encore plus forts, c'est sans même l'avoir entendu qu'on t'avait de le latter ce chanteur à la noix. Tu pourras pas dire qu'on t'avait pas prévenu ...
... Enfin moi tout au moins. J'ai d'ailleurs déjà remarqué que tu ne m'écoutais jamais, j'espère que ça ne te mènera pas à ta perte !!

Jimmy Jimi a dit…

Hi Everett,
Tu as tout à fait raison, mais même les meilleurs conseils ne sont pas toujours faciles à suivre. Et que me resterait-il à raconter?!

Anonyme a dit…

(je n'ai rien à raconter, je vis un éternel été, ni gris ni bleu ni mér... hum je m'égare)

c'est malin maintenant j'ai le "emotional rescue" version Phish (on ne se refait pas ^^) dans la tête.

j'ai adoré (je suis un béni oui-oui, vas-y fait moi du bien avec tes mots mon JJ d'amour !) ton passage autour de la tête dans le sable et le pipi de chat... j'ai trouvé ça assez réaliste... alors que le dialogue du gars - les percus grain de poivre, j'ai eu un relent de manoukianite aiguë sur le coup, mais ça doit venir de moi -

sinon, ben on le voit pas venir, on le sait venir... c'est d'ailleurs tout le truc, on sait la fin mais on se demande quand et comment la fameuse épée de damoclès va finir par te.vous tomber dessus.
un chapitre tapissait de reflets sombres, que j'ai bien aimé, juste après l'allégresse du concert il y a un refus du réel que je trouve intéressant.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Yggdralivre,
Je ne suis pas fan de cette chanson des Stones, mais le titre correspondait bien, il me semble.
Je ne suis pas certain pour le dialogue, non plus, je verrai quand ça aura reposé.
Le plus compliqué pour moi, maintenant, c'est de faire monter juste le temps qu'il faut, pas trop vite, mais pas trop lentement non plus.

Arewenotmen? a dit…

Jiri Smetana, la crème de la crème ? ("smetana" = crème" en russe). Qu'est-ce que c'est ? Qu'est ce qu'il fait ? Qui c'est celui-là ?

DevantF a dit…

Je découvre la suite aujourd'hui (changement de PC pendant le week-end) je reviens commenter plus tard, mais je tenais à me signaler come lecteur fidèle!!

Atewenotmen? a dit…

Total Devo la photo.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Arewenotmen?,
En quelques clics, tu pourrais tout savoir sur Jiri Smetana, mais, en ce qui concerne mon histoire, comme je l'ai raconté il y a quelques chapitres, c'est lui qui était en charge de la programmation du Gibus.
La photo a été prise lors d'une projection d'un vieux film en 3D.

Hi Devant,
Merci pour ta fidélité, elle est très importante pour moi (surtout que j'ai usé la patience de quelques lecteurs à force d'ajouter des chapitres)...

DevantF a dit…

Ce que j'aime en générale et en particulier ici, c'est que de raconter sur le mode souvenir a pas mal d'avantages: le regard adulte sur sa personne jeune "A cet âge, on peut dériver ..." a ce petit goût de nostalgie gaie que j'apprécie, à défaut d’identification au moins des similitudes sur le le regard tendre ET ces allusions de celui qui sait alors que le lecteur lui ne peut que tenter de lire à travers les insinuations, un suspense qui m'aurait fait chercher la fin avant de reprendre ma lecture, mais ici pas possible.
Finalement, même si ils seront de retour, je soupçonne des apartés oniriques plutôt qu'un raccrochage aux wagons fantastiques que sont/furent les BID.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Devant,
En fait, il y a un jeu à double vitesse dont j'aime bien user: parfois, j'essaye de vous faire vivre l'histoire comme le narrateur l'a sentie sur le moment, alors que d'autres fois, je vous propose une vision plus lointaine avec des éléments que vous ignorez. Sans tuer le suspens, je peux te dire qu'il y aura plusieurs pistes car l'aventure ne va pas s'arrêter au drame que j'évoque depuis quelques chapitres. La B.I.D. ne jouera sont rôle que dans les derniers instants.

DevantF a dit…

"Les derniers instants" Tu veux me faire croire que tu les as en tête... Je ne t'imagine pas pressé.

Jimmy Jimi a dit…

Comme je te l'ai déjà expliqué, je n'aime pas les plans qui brident l'imagination. Je me suis lancé avec une vague idée de début, une vague idée de milieu et une plus vague idée encore de fin (que j'ai modifiée, depuis). Mais, à force de cogiter, oui, aujourd'hui, je pense avoir presque tout en tête.

Audrey a dit…

Je partage un peu l'avis su le dialogue. Et à nouveau, j'ai un peu du mal avec la "crédibilité" de l'histoire. Je vois mal un type s'adresser au percutionniste dont tu as beaucoup minoré le rôle par le passé. Je ne dis pas qu'il fait décoratif, mais au milieu de tels autres musiciens, je n'imagine pas que ce soit lui qui attire l'attention (à moins de faire le singe comme le type des Happy Mondays que tu m'avais dit pourtant ne pas voir en peinture). Dans ce concert, tu nous montre les prouesses de chaque musicien, du coup je n'arrive pas à imaginer que ce soit Jimi Koule qui puisse être à ce point mis en avant (surtout que ce rôle n'est quand même pas vital pour un groupe de rock). Autant dans une autre style musical, je veux bien, mais qu'un spectateur d'un groupe anonyme aussi expert en musique soit là... Mais bon, tu ne recherches pas forcément une absolue vraissemblance et on ne te la demande pas forcément.

Pour le reste, il y a un vrai contraste entre l'euphorie des personnages et le ton du narrateur, plein d'amertume. Cela crée une sorte de mise en abime de l'instant présent. Pour ce qui est du style, je le trouve ici un peu excessif, notamment dans ses images, surtout pour faire passer l'amertume, je pense au contraire qu'une certaine retenue renforcerait ce sentiment.

Pour Emoitional Rescue, je te trouve dur. Moi, à la limite, j'aimerai bien qu'ils arrivent à pondre un titre aussi surprenant et réussi à nouveau plutôt qu'une enième déclinaison de leur recette habituelle (même si je préfère les Stones façon Let it bleed ou Exile ou Aftermath). Tu aurais presque pu prendre Get off my clouds mais il n'y avait pas l'amorce dramatique que l'autre sous-entend.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Audrey,
Au départ, j'ai volontairement minimisé le rôle du "tambourine man" pour mieux souligner la souffrance de Jimmy K. à ne pas pouvoir de venir chanteur. Pour ce concert, en plus du tambourin et des maracas, il joue du bodran, de la cymbale à archet, des bongos, propose deux performances face au micro et il a écrit tous les textes des chansons: il me semble que cela peut valoir deux lignes de compliments. On peut également se dire que ce ne sont que des politesses et que le "type étrange" s'adresse à lui uniquement pour lui exprimer son ressenti vis à vis du chanteur et qu'il a choisi Jimmy K. parce qu'il est l'auteur des paroles. On peut aussi se dire que ce n'est qu'une espèce de "parabole" pour indiquer au lecteur que le drame se rapproche toujours davantage. Je ne m'en fais pas trop pour la "crédibilité": dès le départ, Jimmy K. découvre la musique parce que le meilleur ami de ses parents lui offre une caisse de 99 albums (que des chefs-d'oeuvre!) trouvés dans les tiroirs d'une commode Louis XV! Mon but, ici comme dans tout ce que j'ai essayé d'écrire auparavant, n'est pas seulement de raconter une histoire. J'ai toujours voulu créer une sorte de labyrinthe aux parois faites de miroirs déformants où l'on ne distinguerait plus très bien le crédible du fantastique (au sens le plus large du terme). Il n'y a qu'à voir, aussi, la rencontre avec Olympia où le jeune puceau séduit la plus belle fille du monde en fonçant dans ses nichons! Et plusieurs gros passages à venir vont être très, très nettement plus incroyables que tout ça réuni.
Concernant mon style, je crois qu'il a toujours été un peu excessif, c'est ma marque de fabrique, ce que j'aime. Certains le trouveront lyriques, d'autres ampoulés: j'en prends le risques. La retenue n'est pas vraiment ma spécialité.
Je n'ai pas écouté "Emotional rescue" depuis très longtemps, dans mon souvenir, Jagger y prend une voix falsetto à la Bee Gees qu'à l'époque je jugeais insupportable.
Merci de prendre la peine de me faire partager tes sentiments, ça m'aide à me conforter dans mes idées où à rétablir le cap.

DevantF a dit…

je souris à propos des échanges. Cela me fait penser aux dialogues entre lecteurs et écrivain, tel G Martin qui découvre la double facette du lecteur passionné. Avec cette forme de Feuilleton nous tentons de pousser le parcours vers une destination que nous imaginons alors que l'auteur - il semble, hein? - a décidé où aller, à défaut de savoir comment y aller.

EMOTIONAL RESCUE, de toute façon j'aime la voix de falsetto de Jagger, très présente aussi dans TATTOO YOU. Et dans ce titre, il a cette façon de revenir à son timbre qui donne de la profondeur à ce titre. Jagger met de la pop dans le rock de M. Richard et c'est pour ça que je les aime!!

Jimmy Jimi a dit…

Hi Devant,
Les commentaires m'ont parfois incité à faire des ajustements, parce que lorsqu'on à le nez dans le guidon, certains paysages peuvent échapper. Je sens que tu doutes, mais je sais où est comment y aller. Après autant de chapitres, c'est assez heureux car, sinon, je serais plutôt en panique. ça ne m'empêche pas de connaître des difficultés sur certains chapitres car entre ce qu'on peut avoir en tête et trouver la bonne manière de l'exprimer, il y a souvent un monde.
Bon, je sens qu'il va falloir que je réecoute "Emotional"...

nestor b a dit…

Je fais aussi partie des bénis oui-oui qui apprécient ton feuilleton. Pour cet épisode là encore je suis bien resté dans le récit et ça me plaît bien d'imaginer ce gars qui donne son avis à J.K sur l'avenir du groupe.
Allez ouste, la suite !