124. A SINGER MUST DIE [LEONARD COHEN]
A la naissance de notre Eléonore chérie, je crus – oh, naïf ! – être définitivement entré dans une nouvelle ère. « Le Monstre » avait disparu de mes nuits et seuls les balourds de la Brigade de l'Ile Déserte s'autorisaient encore quelques fois à troubler mon sommeil entre deux biberons. En fait, ce n'était qu'une vilaine ruse supplémentaire pour revenir me torturer plus violemment que jamais.
« Je le jure sur la tête de mon enfant et sur ma collection de pirates du Velvet Underground (qu'ils se rayent à l'instant, si je mens !), Votre Honneur, personne ne pourrait résister à trois décennies de cauchemars. C'est à devenir fou... »
La suite, vous la connaissez, je vous l'ai offerte dans un flashforward aux chapitres 4 et 5. Pour mémoire, les filles quittèrent la maison de bonne heure pour aller danser en province ; j'en profitais pour me vautrer dans mes souvenirs d'antan (les beaux, seulement) avant de filer vers le Gibus, là où Mizanu avait donné son tout premier concert.
Au milieu de la nuit, je quittai le club, et rencontrai « Le Monstre », baignant dans la même eau de toilette bon marché que jadis (le succès et l'argent n'achètent pas le bon goût). L'odeur me monta au nez pire qu'une moutarde empoisonnée. Je compris que j'attendais ce moment depuis près de trente ans. Il bredouilla quelque amabilité déplacée. J'aurais du me contenter de lui cracher au visage avant de lui envoyer ma meilleure droite (enfin, ma seule droite, je n'ai jamais été très bagarreur), mais la vue du sang m'excita. Je le laissai pour mort, pendant qu'un orage complice nettoyait mes empruntes...
Les filles me retrouvèrent à demi noyé par la fièvre. Sur l'écran de la télévision, le visage du « Monstre » s'étalait en grand format, et un journaliste racontait l'effroyable agression dont Richard Coxe avait été victime. Le chanteur se trouvait dans le coma et on ignorait encore si le processus vital était engagé.
Le téléphone sonna.
« Papou, c'est pour toi, lança ma fille. »
L'appareil me brûla les doigts.
« Jimmy, dis-moi vite que c'est pas toi.
– Désolé, ça va pas être vraiment possible.
– A la télé, ils viennent de dire que les flics avaient trouvé un témoin, une mémé qui promenait son chien... Faut que tu te sauves !
– Je suis pas certain d'avoir les aptitudes pour une cavale. [A ce moment, je me sentis comme oppressé d'être ainsi coincé dans ce dialogue qui semblait dit tout droit sorti d'une très mauvaise série.] De toute façon, c'est trop tard, Olympia, on vient de sonner à la grille, je crois qu'ils viennent me cueillir. J'ai été heureux de t'entendre. Je t'embrasse. »
J'étais à côté de toutes les plaques, je me foutais royalement de ce qui pouvait m'arriver, je me berçais de l'écho de la voix d'Olympia.
Mary se dirigea vers la porte pour aller ouvrir aux flics. Elle ressemblait à une somnambule. Une grosse larme coulait sur sa joue si pâle (je ne sais plus laquelle). Par la fenêtre du salon, je la vis traverser le jardin en titubant. Soudain, le ciel se maquilla de rouge et les anges chutèrent de leur hamac nuageux pour se livrer aux vents mauvais. Les cris de douleur du « Monstre » remontèrent le temps en effaçant la voix acidulée d'Olympia qui chantait dans mes oreilles et les émanations putrides de la geôle hurlèrent au milieu d'un délire de sirènes.
20 commentaires:
Ah ben merdre alors...
J'avais proposé le flashforward très tôt pour que vous puissiez l'oublier un peu et que ça fasse encore son petit effet - même si j'ai opté pour une écriture assez froide jusqu'aux paragraphes de la fin, comme si le narrateur tentait encore de s'extraire de sa propre violence...
Pareil qu'Arewenotmen?
Non ça peut pas finir comme ça. En fait la mémé au clébard va décrire très précisément l'agresseur du monstre (il ne mérite pas de majuscule). Il s'agissait en fait de Mark Chapman qui venait juste de bénéficier d'une remise en liberté, après avoir purgé 35 ans de prison pour l'assassinat de John Lennon.
Jimmy Koole se remit à écrire de nouvelles chansons………
les sirènes ulyssiennes ont cédé le pas aux sirènes de police.
le retour à l'horrible (et forcément déceptive) réalité...
la suite !!!!
Hello Keith,
Qui a dit que ça allait finir ainsi? J'ai encore quelques surprises dans mon petit sac.
Hi Yggdralivre,
Ce n'était peut-être que des sirènes de pompiers qui passaient par là où Jimmy ne les entendait-il que dans sa tête...
Ça aurait fait une belle fin ! Mais si tu nous réserves encore quelques bonnes surprises, je signe illico.
Non Jimmy,ce n'est pas la police des Hommes qui vient te chercher, mais le Maître lui-même. Il t'emmènera rejoindre Olympia et vous survolerez Paris avant de partir pour un Ailleurs où vous vous aimerez jusque la fin des Temps....
Keith,
Au début, je me demandais si je pourrais tenir 50 chapitres et, maintenant, je ne parviens plus à m'arrêter!
Arewenotmen?,
Tu y es presque!
J'ai un peu du mal à suivre où tu veux aller, ni sûr que ce soit judicieux de tout précipiter ton histoire sur ce chapitre qui en aurait au moins mérité 3 ou 4 (Jimmy papa, ça mérite plus que 3 lignes, non? la rencontre avec le monstre et pourquoi il replonge 30 ans après comme si rien n'était arrivé entre temps; l'angoisse de la montée des flics, le retour de la BID face à un individu qui, de mémoire, avait tout foutu en l'air ses disques et n'écoutait plus du tout de musique etc.).
Là, tu nous saisis à froid. En fait, ton récit fait le grand écart un peu trop systématiquement à mon goût depuis quelques chapitres. Je me dis qu'il peut tout se passer maintenant mais que ça n'a plus trop d'importance parce que le récit refuse de nous donner une trame dans laquelle on puisse un peu se projeter... Disons que c'est trop décousu pour moi.
Bref, je ne sais trop quoi en penser... Sur un certain point, c'est logique, mais tu écrit la scène comme si tu voulais t'en débarrasser au plus vite alors qu'elle avait de quoi nous tenir un peu en halène (et puis, tu aurais pu écrire un chapitre Police on my back :) ).
Maintenant, c'est sûr qu'on attend la suite... ou la vraie fin. Mais moi, ce qui m'intéressait le plus dans ton récit, c'était quand tu parlais du rapport de ton personnage avec la musique et comment sa vie tournait autour. Un peu moins quand tu es à côté (même si le précédent chapitre m'avait bien plu)
Je manque de temps, Je t'avais dit un moment que cela pouvait tourner comme "le maitre et Marguerite" réel et fantastique habilement mélangé... C'était une fausse piste. Je reviens raconter mon impression A+
Tabernacle ! Le prochain chapitre va s'intituler Jailhouse Rock, alors ?
Hello Audrey,
Je ne suis pas certain que tu lises mes réponses à tes commentaires, cela t'aiderait pourtant à comprendre mon point de vue. Tout mérite d'être conté, mais j'ai décidé de me focaliser sur une histoire afin, justement, de ne pas trop égarer le lecteur. J'ai accélérer le temps pour qu'on se retrouve à la fin de Mizanu car c'est mon véritable sujet. Jimmy papa, comme Jimmy et Mary, on eu droit à d'autres passages en début de roman, et il ne me semblait pas particulièrement important d'y revenir en profondeur car, encore une fois, là n'est pas mon but. Tu confonds récit décousu et accélération. Jimmy a tout perdu après le vol du "Monstre"; il est tombé dans une grave dépression pendant deux ans; il a rencontré Mary, fait un enfant, trouvé un boulot; il a retrouvé le "Monstre" qu'il a laissé pour mort. Voilà mes derniers chapitres, il n'y a donc rien de décousu, je le répète; c'est juste que j'ai accéléré pour nous replonger dans la suite de mon sujet principal. J'espère que les prochains chapitres t'aideront à comprendre pourquoi et comment j'ai organisé les choses.
Hi Devant,
Ce n'était pas vraiment une fausse piste, seulement, je vais si bien maquiller le "fantastique" qu'on ne le reconnaîtra pas!
Hola Zocalo,
Ce serait peut-être trop facile d'emmener le lecteur où il croit aller.
Yo
La branlée que tu lui colles je la verrais bien filmée par Tarantino !!
Au ralenti et avec ''I Feel Good'' en fond musical, ou quelque chose de plus tordu encore peut-être ...
L'avoinée était mieux documentée au chapitre 5, je le prenais pour un ballon de foot en pleine finale de coupe du monde! Et, entre autres réjouissances, un rétroviseur lui découpait l'oreille!
Nous resterons dans le cinoche au prochain épisode et c'est Sam Peckinpah en personne qui filmera!
Yo.
Je suis assez d'accord avec Audrey et même si je comprends ton parti pris, le flash forward plus détaillé que la scène en elle-même c'est un peu déroutant.
Je regrette surtout de ne pas avoir plus de ta relation avec ta fille. Je comprends comme tu le dis, le fait de te focaliser sur une histoire et ne pas te perdre. Mais j'ai un petit regret, comme un acte manqué.
Mais c'est bien, je ne dis pas le contraire. Soyons clair. Ça commence à faire une oeuvre!
Hello Jonathan,
C'est justement parce que j'avais détaillé la scène dans le flashforward que je ne me suis pas attardé, ici. En plus, je désirais installer une sorte de distance, comme si le narrateur se mettait en retrait de son crime...
Les relations avec ma fille (enfin, celle du narrateur) sont davantage mises en avant dans les premiers chapitres.
Je n'avais pas cinquante choix: soit j'entrais de plein pied dans ces trente années, au risque d'égarer le lecteur (et pour raconter quoi, je ne savais trop), soit je résumais au maximum pour revenir au sujet principal - et c'est cette dernière que j'ai choisi. Peut-être que ça sera plus cohérent pour toi, quand tu auras lu la suite...
Il me semble que tu oublies un peu la vision du lecteur. Il n’est pas une machine et il a besoin de comprendre où tu l’emmènes pour savoir s’il veut te suivre et il n’a pas forcément à chercher ce que toi tu as dans la tête. Si on reprend les derniers évènements après le drame, on a une évaporation d’un groupe qui ne se parle plus du jour au lendemain. Puis une dépression du héros pendant deux qui lui fait perdre tout goût à la musique. Puis, on a un saut de puce temporelle où on le retrouve amoureux à nouveau. Puis pendant 2 chapitres, tu débats du CD.
Et là, nouveau saut de puce, on apprend dans le même chapitre qu’il est marié et a eu un enfant et dans le même temps qu’il a cogné le Monstre et qu’il est attendu par la Police (Pour ma part, il y a longtemps que j’ai oublié le chapitre 5 donc j’ai besoin que ce chapitre me rafraichisse la mémoire).
Tout ça fait qu’on ne peut plus suivre ton histoire depuis plusieurs chapitres sans vraiment se plonger dedans. On n’a jamais un point d’accroche stable. Et quand on en a un ou quand on aimerait en avoir un, paf, tu accélères en nous laissant avec notre frustration. Demande-toi ce qui intéresse le lecteur. Je pense que si on lit un jour ton roman pour de vrai, c’est qu’on s’intéresse à ton personnage. Le fait que tu refuses de t’attarder sur le comment il refait sa vie (et retrouver goût à la musique) est dommage, parce que je pense qu’on en a besoin pour s’intéresser à ton personnage. Visiblement, ce n’est plus le même homme que lorsqu’on l’a quitté après le concert du drame. Toi tu le sais certainement parfaitement puisque tu es capable de nous le laisser entrevoir, mais le lecteur a besoin d’une relation plus intime pour s’en faire une idée.
C’est toi l’auteur, tu as, en quelque sorte, tous les droits. Mais en accélérant de la sorte sur des scènes qui avait pour moi le pouvoir de recréer un lien avec le personnage tel qu’il est au moment présent, tu oublies ton lecteur. Moi, je ne comprends plus trop ton Jimmy. J’ai besoin de le revoir vivre pour savoir qui il est devenu surtout que tu brosses un portrait très différent de celui qu’on connait.
Tu parles de choses importantes (un mariage, la naissance d’un enfant, une vie équilibrée même si avec une fêlure qui reste latente) qui méritent certainement le même traitement que tu as employé pour l’avènement des CD, qui en soit parait très anecdotique avec la vraie histoire de ton personnage (même si ce sont des réflexions pertinentes pour le passionné de musique). Si tu considères qu’elles sont secondaires (c’est ton droit), alors pourquoi les mentionner ? Ton histoire, pour ce que j’en perçois, n’a pas besoin de cet enfant et de ce mariage, donc ne les mentionne pas, cela évite de créer une frustration. Et si tu penses que tu en as besoin, alors ils méritent plus ! Le lecteur a besoin de repères et c’est toi qui les lui donne.
Voilà, j’espère que ça t’éclairera un peu. Bien entendu, je me place ici dans l’idée que ce n’est plus un feuilleton d’un blog mais dans un vrai roman. Pour un blog, ce chapitre m’irait (même si cela n’ôte pas ma frustration. Cette frustration provient aussi du fait que tu es très crédible quand tu brosses son portrait de couple avec un enfant. Tu me laisses juste entrevoir quelque chose qui m’aurait plus de voir développer.
Bien entendu, le hic, c'est aussi qu'un lecteur oublie des tas de choses, y compris quand elles sont importantes. Toi tu te rappelles de tous tes chapitres. Combien ici s'en rappelle ou les ont lus? Peut-être que mon impression aurait été différentes si j'avais lu tout dans la continuité, mais j'aurai continué de penser que l'histoire vite depuis plusieurs chapitres un temps faible (on peut écrire de très bonnes choses avec des temps faibles et tu l'as fait). Ton idée de tout accélerer se défends, mais peut-être qu'en prenant 2 ou 3 chapitres de plus au lieu de compacter à ce point et tu trouvais un meilleur équilibre?
Hello Audrey,
Je crois que le problème majeur vient de la lenteur à laquelle j'ai proposé ce feuilleton. En effet, le lecteur est en droit d'avoir oublié les premiers chapitres dans lesquels il était question de Mary et d'Eléonore. Je verrai à la relecture s'il me semble nécessaire d'ajouter des chapitres. Mais il me semble que tu passes parfois entre les lignes, comme lorsque tu dis qu'on ne sait pas comment il retrouve le goût pour la musique. Si ça dépression lui en a ôté le goût, il me semble que le fait d'être de nouveau amoureux le lui redonne instantanément, et que ces choses sont clairement exprimées...
Merci de prendre autant de temps pour exprimer ton point de vue, même si nous ne sommes pas toujours d'accord, cela m'est toujours utile: la preuve, tes dernières réflexions m'ont aidé dans le début du prochain épisode.
Sans doute, je te fais confiance.
Je suis nul, mais on le prend ou le début du feuilleton ?
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