131. WHO ARE YOU [THE WHO]
Un seul disque vous manque et tout est dépeuplé ! Certains êtres particulièrement sensibles succomberaient sous les assauts d'une mort violente, si on les privait trop longtemps de musique... Il faut croire que mes petites ritournelles de papier n'avaient su satisfaire les oreilles du grand drogué. Mon corps en manque venait d'inonder les draps d'une vilaine fièvre.
Je rampai péniblement jusqu'à ma valise, piochait un album, sans un regard pour la pochette, avant de me traîner vers la platine. Réunissant mes faibles forces, je poussai encore en direction de la mer afin d'y tremper ma carcasse dégoulinante.
Les enceintes déversèrent Who are you ? sur l'étendue de l'île. Un triste disque, en vérité. Alors que la révolution punk venait enfin de remettre la guitare à l'honneur, les Who ne trouvaient rien de mieux à proposer que ce machin bringuebalant et infecté de claviers en tout genre. Plus déprimant encore, ce serait l'ultime tour de piste du génial Keith Moon (et qu'il fut remplacé par le magnifique Kenney Jones (de mes chers Small Faces) ne me consola guère)... Si le hasard s'était foulé un peu, je me serais délecté de leur insurpassable chef-d’œuvre inaugural. A cet instant, j'aurais volontiers cédé deux ou trois de mes châteaux en Espagne pour écouter The Kids are alright, cette merveille plus Beatles que nature avant que « Moonie » ne fasse chanter ses fûts un ton plus haut et n'entraîne ses copains à le rejoindre dans un infernal cosmos libertaire !
Le bras automatique revint sagement sur son reposoir. Je retournai vers la maison en bredouillant des : « qui suis-je, où vais-je et dans quel état j'erre ? » ressemblant à un vieux mantra désespéré.
Sur la table, de nouveaux lilliputiens firent de la luge sur un tas de pages immaculées : il y avait là un tout jeune Jimmy en tenue de gardien de but, un Jimmy dans son premier velours milleraies, un Jimmy en costume de scène (c'est à dire dans ses plus beaux vêtements de ville)... Je ne parvenais pas à écrire la moindre ligne, mais des tiroirs s'ouvraient de partout dans ma tête, et d'autres Jimmy se glissaient dans mes larmes avant d'éclater comme de minuscules bombes à eau sur le papier vierge : Jimmy en chemise de bourreau ou Jimmy en habit de bagnard...
« M pour Meurtre, M pour Misère / La preuve que la plaie reste ouverte / S'asseoir là, ne plus rien faire / Ne rien dire, juste se taire » chantait Philippe Pascal sur le premier album de Marc Seberg... M pour Monstre, aussi, lequel devait bien se marrer du fond de son coma.
13 commentaires:
Je me demandais quand arriverait la prochaine livraison de ton feuilleton.
Voilà une jolie errance psychologique. Tu arrives à concilier tes états d'âmes à la musique, ce qui crée un fil rouge solide avec tes lecteurs.
La citation finale, totalement inattendue clôt également bien ce chapitre et provoque parfaitement son petit effet parce que, moi, j'ai à l'oreille la voix de Philippe Pascal qui me susurre les mots. Tiens, voilà un album que je n'ai plus et qui figure parmi ceux que j'aimerai bien retrouver rien que pour le réentendre me chanter les terribles mots que sont "le chant des enfants morts hier". Une production, de mémoire, qui n'a pas aussi bien vieilli que celle du Marquis de Sade mais qui délivrait son petit lot de chansons noires et blanches tout à fait mémorables.
Hello Audrey,
J'ai eu du mal avec celui-ci, ce n'est jamais simple d'organiser un petit chaos psychologique!
Il faut que je pense à poster de nouveau le premier Marc Seberg. Pour moi, il n'a pas plus mal vieilli que les deux Marquis de Sade et il contient "Strikes", une de mes chansons préférées (et pas seulement du groupe).
Je crois que c'est aussi mon morceau favori. De mèmoire, le son de la batterie sonne assez horrible.
Pour revenir au texte, je comprends que cela soit difficile, mais, pour ma part, je trouvais que ça manquait un peu.
Tu as su trouver pas mal d'idées pour consttuire ton texte, et tu parviens à les enchainer sans que cela finisse par peser. On sent très bien son angoisse montée comme s'il paniquait ou "flippait grave" comme on dit.
Who Are You ?
Ah c'est toi qui vois mais moi je lui aurais pas fait l'honneur de baptiser un chapitre de mon roman ...
Et j'aurais mis la photo du gardien de but !
Rhôôôôô ! Mon cochon, tu vas nous ruiner ce début d'année !!!
Ce chapitre est d'une noirceur apocalyptique. Au moins si le petit Jimmy avait pu labourer le dos du renégat à grands coups de katana, il serait apaisé et boirait du lait de coco dans les bras de sa dulcinée, au lieu de remuer la boue des souvenirs sales.
Je rêvais de ton île, mon ami. Je l'imaginais belle et souriante, pleine d'arbres fruitiers et de perruches multicolores. Ce n'est en fait qu'une prison malodorante qui ressasse le fiel de la trahison.
Va-t-en vite, petit Jimmy, avant de perdre la tête !
Un commentaire juste pour dire que je m'attarderai à la lecture Vendredi. Rdv pris!!
Moins enthousiaste qu'Audrey par exemple... je n'accroche pas vraiment... mais on ne peut pas gagner à tous les coups :
Hello Audrey,
Oui, j'ai cherché un mélange d'angoisse et de tension. Maintenant, il va falloir rebondir et ce n'est pas simple non plus!
Hi Everett,
L'album ne mérite pas grand chose, mais il m'a bien servi quand même!
Hola Keith,
Un endroit paradisiaque et le meilleur lieu pour s'amuser à y coller des angoisses!
Pour partir, il faudrait que je sois meilleur nageur!
Hello Devant,
A plus tard, donc.
Hi Arewenotmen?,
Ce sera pour plus tard, j'espère!
J'en suis certain Jimmy, car j'ai d'excellents (et très récents) souvenirs !
Je suis partagé. Pas sur le sentiment de cette vignette. Mais elle évoque des souvenirs personnels. Ce disque, cette chanson comme un dernier au revoir, achat d'un groupe que j'aurai tellement souhaité ... j'en arrivais à être content du succès de cette chanson alors que je ne l'aimais pas. Déjà "Who By Numbers" fut une telle déception (Led Zep et son Physical Graffiti, pendant ce temps) c'est fou comme on ne prenait pas de recul sur les idoles qui accompagnaient notre jeunesse. Le témoignage "Kid Are Allright" fut la remise en selle... Tu vois je m'épanche et j'oublie tout de même notre Jimmy de plus en plus enfermé dans sa tête. Bien vu le Keith. C'est oppressant, j'en ai même une lecture déformée, comme le roman "Shutter Island", je fini par chercher les indices qui démontrent l'irréalité des événements. Jimmy est un malade et vit un cauchemar, il a tout imaginé.. tout? Oui TOUT!!
Par Keith il fallait comprendre.. Keith Michard, c'est en me relisant à tête sur les épaules que je constatais l'ambiguïté du propos.
Hello Devant,
Je comprends parfaitement ton point de vue sur cette chanson et cet album car j'ai vécu sensiblement la même expérience.
L'irréalité? Comme disait la femme de Céline: "Tout est vrai comme dans un roman"!
Je crois que ce qui t'embrouille, c'est que tu ne parviens pas à admettre que dans la réalité de mon roman, l'Ile Déserte existe pour de vrai.
ha ! (enfin ! aurais-je envie de dire mais comme je suis à la bourre niveau écoute, j'vais pas aller faire mon chiant)
j'aime bien cet épisode, court, dense, ramassé, replié dans une dimension musicopsychologique de bon aloi, tu trouves un parallèle intéressant entre le disque et l'état du perso.
bref, ça fait du bien (même si le chapitre en question n'est pas des plus joyeux ^^)
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