78.
GLORIA (IN EXCELSIS DEO) [PATTI SMITH]
Je
revois la scène mieux que si j'avais la photographie punaisée sur
les paupières. Je me suis rejoué tout le film un petit milliard de
fois, au cas où un esprit aimable aurait légèrement modifié le
scénario...
Paulina
nous réexpliqua sa vision de Gloria : « très lente,
particulièrement dramatique et plus sulfureuse que jamais. » Elle
nous la joua seule pour nous montrer la voie. C'est à ce moment que
je m’aperçus d'un infime détail oublié : j'étais planté devant
mon pied de micro, traduction en évidence posée sur un pupitre,
mais je n'avais jamais chanté de ma vie ; même sous la douche, je
préférais siffloter. Cela ne me perturba pas outre mesure,
étrangement, tous ceux qui écrivent des chansons pensent être
capables de les interpréter eux mêmes...
Les
dieux et les diables s'ennuient – infiniment...
Paulina
recommença l'introduction et les autres lui emboîtèrent
magnifiquement le la. Avant de me jeter dans l'aventure, je décidai
de les écouter faire un tour de piste afin de me mettre
convenablement dans l'ambiance. Pour des débuts, cela frôlait la
magie pure. Il ne me restait plus qu'à me laisser porter. Je fermai
les yeux et m'élançai...
«
[…] le plus beau jour de ma vie. »
J'y
étais, j'étais le chanteur d'un groupe... sauf qu'ils s'arrêtèrent
tous après ma troisième phrase. Chris hurla que l'heure ne pouvait
plus être à la déconnade. Je ne compris absolument pas de quoi
diable il voulait parler. Nous reprîmes, mais la musique cessa sur
le même mot. Cyril reprit ceux de son frère et Polina me fit les
gros yeux comme si j'avais cinq ans et que je venais de piquer un
billet dans son porte-monnaie ! Après un énième essai, quand tous
m'eurent sermonné à tour de rôle, Guillaume suggéra de jouer
L'Âme saoule : « Il sera peut-être plus à l'aise en
chantant un texte qu'il a écrit. » Je n'y comprenais toujours
absolument rien.
Chris
et Cyril nous dévoilèrent ce qu'ils avaient composé. Cette fois,
ils me laissèrent pousser jusqu'au refrain, mais pas davantage...
Pour
se désennuyer, les dieux et les diables dérèglent les horloges et
défont les rêves...
«
Ecoute, Jimmy, il y a un problème, commença Chris... »
Il
ne termina jamais sa phrase.
Paulina
pleurait doucement, je voyais les gouttes qui tombaient le long du
manche de son violoncelle.
«
Ce n'est pas de ta faute, poursuivit Cyril... »
Il
ne parvint pas à aller plus loin, non plus.
Finalement,
Isidore quitta le bar derrière lequel il nous confectionnait des
cocktails pour la pause : « Ce que tes amis essayent de te dire
[C'était la première fois qu'il me tutoyait, je crois que c'est la
première fois qu'il tutoyait quelqu'un.], c'est que tu chantes...
incroyablement faux...
Ce
n'était pas difficile à comprendre, pourtant, l'information mis
plusieurs secondes avant d'atteindre mon cerveau. Elle en mis
plusieurs autres avant de me toucher au cœur.
On raconte que nos destinés sont tracées à l'avance, mais qu'un seul battement d'aile d'un papillon peut tout bouleverser - maudits papillons ! Je les entendis briser leur vitrine d'un même élan et reprendre vie dans l'odeur de ma petite mort...
On raconte que nos destinés sont tracées à l'avance, mais qu'un seul battement d'aile d'un papillon peut tout bouleverser - maudits papillons ! Je les entendis briser leur vitrine d'un même élan et reprendre vie dans l'odeur de ma petite mort...
J'abandonnai
mon micro, mes textes, mon tambourin, mes maracas (tout ce
bric-à-brac désormais inutile), et me jetai dans la rue comme on se
jette dans la gueule du loup (affamé, le loup).
Je
me mis à courir sous la pluie (qui ne s'abattait peut-être que dans
mon crâne), tellement vite que je crus exploser mon petit palpitant
sanguinolent...
Je
dépassai le Trocadéro sous l'averse. Je dépassai le Champs-de-Mars
sous la tempête. C'était le déluge quand j'arrivai à la hauteur
de la station Duroc. Là, fonçant tête baissée, je tombai
19 commentaires:
Houaaaahhh. Les frissons dès que j'ai compris ce qui se passait. Génial, vraiment... Je peux me permettre? la toute fin, fallait-il qu'il pleuve? Tu as réussi une très belle scène original, du jamais vu ou lu en ce qui me concerne, il faut absolument trouver une clôture à cette hauteur, ce n'est que mon opinion et j'espère que surtout tu retiendras le plaisir que j'ai eu à lire... Les dieux sont avec toi!!
Aïe ! La casserole est de sortie !!!!!
Une écriture décidément très sensible et l'art de nous toucher au coeur...
Pas besoin de cela en ce moment avec le plan vigilance orange inondations en vigueur dans la région! Hi, hi, trop bon, je me suis bien marré... ma foi, je m'en suis payé une bonne tranche bien grasse avec tes "canards". Excellentissime.
Ah ben c'était le risque hein.
T'inquiète pas Jimmy K, un petit stage chez Armande Altaï et il n' y paraîtra plus rien. (Et non, n'insiste pas, elle ne t'apprendra que le chant, voyou va !)
Et sinon, la liste est longue des chanteurs qui ... tu veux des noms ?
Les acteurs eux te le diront : on joue avec ses faiblesses, pas ses forces.
Vous avez évidemment compris que la phrase laissée en suspens se poursuivra au prochain chapitre...
Hello Devant,
Ce n'est pas certain qu'il pleuve et c'est d'ailleurs précisé: "Je me mis à courir sous la pluie (qui ne s'abattait peut-être que dans ma crâne)..." Tu as deviné, les dieux (et les diables) sont avec moi, mais as-tu anticipé la suite? J'espère que tu n'es pas au bout de tes surprises... En tous cas, merci pour les compliments, je constate avec plaisir que je ne cogite pas pour rien!
P.S.: deux petites œillades rien que pour toi dans mon post de demain... Que de suspens!
Hi Keith,
Attention, la casserole peut se transformer en carrosse ou un truc du genre!
Hola Arewenotmen?,
J'essaye en tous cas.
Hello Dado,
Cet épisode ne prêtait pas vraiment à rire, mais chacun est libre de son interprétation!
Hi Everett,
Je savais que tu me répondrait ça, mais tu comprendras pourquoi j'ai choisi cet angle...
tempête sous son crâne, oui, en relisant je me suis voulu du manque d'attention... L'émotion!
Le destin est souvent cruel. Dieux, diables ou simplement génétique, le talent de chanteur ne va pas forcément à ceux qui le méritent. Mais le "chanter faux" nécessite d'être relativisé. Peut-être qu'il est préférable d'éviter les reprises.
Heureusement chanter faux n'empêche pas d'écrire juste.
Je me joins au concert de louanges (qui sonne juste, lui) pour cet excellent chapitre. J'aime ton style, qui rend le drame à la fois léger mais vibrant et tendre. Ton écriture, à son meilleur, est vraiment un mélange très subtile qui fait mouche en plein cœur. Bravo!
Hello Devant,
Et puis j'aime bien mêler la pluie aux larmes, c'est un leitmotiv qui me plait bien!
Hi Till,
Je n'espérais plus te lire sur mon feuilleton; maintenant, j'espère que ça va durer!
Hola Audrey,
C'est bien gentil, mais ça me met une grosse pression pour la suite! J'espère que vous apprécierez la surprise.
Ben oui, tu as tout compris!
Hello, Jimmy, je repasse, mon 1er commentaire s'est perdu on dirait (sinon, il risque d'apparaître en double)
Bravo pour le coup de théâtre, ça met bien l'ambiance, comme la longue course ajoute l'urgence. Et la station Duroc, elle a bien un petit rôle à ce carrefour palpitant?
Vivement la suite, faudra que je revienne plus vite :-)
T'inquiète coco, ça s'arrangera au mixage !
Un jour dans les mid 80's on démarchait une major avec mon pote. On avait sous le bras une petite démo d'un morceau qui s'appelait Dance Folie avec une bonne partie de basse. Le mec écoute 3 secondes et me dis ouais ta basse c'est pas mal, mais la basse ça fait chier tout le monde ! Voilà tout est dis , clap de fin.
Ce jour là fut pour moi un grand moment de solitude. Je pense savoir ce que tu as pu ressentir également.
Hello Rooster,
Merci pour l'anecdote, j'en ai un bon paquet aussi; à propos de basse, j'en ai une qui est bien: dans la même maison, il y avait un type qui trouvait qu'il y en avait trop et l'autre pas assez, le dernier nous conseillant même de jouer avec deux bassistes!
Pour le reste, il ne faut pas oublier que je ne suis pas Jimmy Koule et que la plupart des événements sont inventés.
Merci pour ton passage, ça me fait particulièrement plaisir sur le feuilleton.
C'est beau de se prendre pour un ecrivain.
Enfin quand on a pas peur du ridicule...
Cher anonyme,
Justement, je n'ai peur de rien sauf du ridicule, mais j'ai décidé de le braver!
Merci pour votre commentaire, cela faisait longtemps que je n'avais eu à faire à un anonyme (vous l'êtes toujours tous) venu chercher gratuitement la bagarre, mais il va vous falloir faire preuve de davantage d'imagination ou de talent si vous voulez vraiment me blesser.
Au plaisir de vous relire très vite!
Jimmy
Tu aurais pu finir chanter punk pour le coup... En espérant ne rien dévoiler des nouvelles orientations de Koule.
Merci pour ton passage qui me fait toujours plaisir.
Non, tu es loin du compte...
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