lundi 29 février 2016

Pour la beauté du geste (feuilleton électrique) par Jimmy Jimi # 105


105. IF [ROY HARPER]

   En musique comme en amour comme en tout, j'ai souvent été happé par la nostalgie avant même que les événements ne soient terminés. Ainsi, je ne peux plus compter les disques dont j'ai usé la première face avant d'oser les retourner. Avec Olympia, aussi, j'ai parfois essayé de repositionner mon sexe sur le bord du sillon, mais l'affaire est sensiblement plus compliqué !
   Quand Richard lança : « C'est déjà le moment de notre dernier titre, merci d'être venus aussi nombreux, et merci d'avoir été aussi réceptifs et enthousiastes », je me sentis complètement largué l'espèce d'une minute ou deux. (J'espère, malgré toutes les ridicules sornettes que peuvent tenter de nous faire croire les mathématiciens bornés, que vous êtes conscients que certaines minutes durent beaucoup plus que soixante malheureuses secondes, comme le fait qu'un kilo de jolies plumes ne pourra jamais équivaloir un kilo de méchant plomb !) Heureusement, que nous devions rejouer dès le lendemain, sinon j'aurais pu me laisser avaler par le souvenir lointain de nos premiers accords.

   Chris frappa le plancher magique à grands coups de talons avant de faire glisser son bottleneck sur le manche chauffé à vif.

   « Si... comme on le dit, on referait le monde avec des si... pourquoi s'en priver ? »

   Au refrain, j'abandonnai mon tambourin pour retourner un long bâton de pluie dont les larmes cristallines se démultiplièrent devant un micro chargé d'écho. Il faut consciencieusement inondé le cœur du public avant de le laisser regagner son lit. Il ne s'agirait pas de se faire oublier à la première chansonnette lâchée avec négligence par un accordéoniste du métro ou par un autoradio.
   A la reprise, nous avions déjà bien taquiné les cumulonimbus, il ne restait plus qu'à laisser éclater le dernier orage.

   « Eclairs et tonnerres – montez et roulez ; – Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges », hurla un fantôme au milieu du fracas des cymbales et des cordes à hautes tensions.

   Je garde encore, quelque part au fond de mon petit cœur fragile, le doux écho des ultimes applaudissements, et l'odeur tenace de cette nuit de déniaisement ne me quittera sans doute jamais. La sale existence et les traîtres de tout bord devront s'exalter encore davantage pour me faire regretter totalement cette aventure.

   Le D.J. lança One fine day des Chiffons et je ne saurais mieux dire.






16 commentaires:

DevantF a dit…

Hein? Quoi? Déjà terminé cet épisode en forme de vignette? Si tu voulais "nous" faire redescendre après l'intensité des épisodes précédents, alors tu as réussi.
Comme si tu voulais nous faire partager cette sensation de vide que connait ton personnage.
Quelques remarques au passage, la métaphore du changement de face pour évoquer la relation avec Olympia est plutôt osée... Je dis bravo.
J'ai aimé "le bâton de pluie"
Tu m'as compris, un seul reproche. trop court, même si intentionnel. Surtout si intentionnel.

Anonyme a dit…

c'est malin, je sifflote riders on the storm maintenant... pfff.

joli passage, le sillon (forcément le sillon, figure ô combien parlante...), la pluie, la fin...
pareil que devant je regrette qu'avant la fin, ce texte se termine si

Jimmy Jimi a dit…

Hello Devant,
Justement, j'avais beaucoup usé de l'intensité et du volume sur certains des épisodes précédents; ici, j'ai eu envie d'user d'avantage de pointillés, de trouver un juste au milieu entre légèreté et lourdeur des sentiments. Je rajouterai une petite couche au prochain chapitre avec les déclarations d'après concerts.
Merci pour la remarque sur la métaphore, j'en suis moi-même très satisfait!
Le bâton de pluie est un instrument qui existe, il me semblait bien adapté au paragraphe.
Ce n'est pas plus court que d'habitude, le jeu restant de pousser le lecteur à ce jeter sur le chapitre suivant. Je reprends en cela l'idée célinienne du métro émotif: il jouait avec les points de suspension comme j'essaye de le faire avec la brièveté des chapitres, par petites touches impressionnistes. Dans les chansons "rock" que l'on préfère, il y en a finalement assez peu (même s'il y en a, évidemment) qui dépassent les fameuses trois minutes.

Jimmy Jimi a dit…

Hi Yggdralivre,
J'ai hésité à en remettre une couche avec un final en forme d'éjaculation, mais il faut aussi savoir ne point trop en faire.

Jimmy Jimi a dit…

Au lieu du passager de la tourmente, j'ai préféré revenir vers Rimbaud, déjà présent au chapitre précédent.

DevantF a dit…

"... sensiblement plus compliqué..." grandiose, surtout le "sensiblement" Rarement vu autant de sens dans une phrase, que l'esprit soit bien ou mal retourné (Je suis sous ton influence!!)

Jimmy Jimi a dit…

Au début, j'avais usé, une fois de plus, de mon "un tantinet" que j'affectionne tant (et même trop), mais "sensiblement", m'a semblé plus subtil. L'esprit n'est ni bien ni mal tourné, il est la réalité: souvent, au moment où l'on sent que la jouissance va nous étouffer, on voudrait revenir au point de départ pour faire durer le plaisir. Il paraît que le temps moyen d'un ébat est de sept minutes, ça fait pas beaucoup, quand même!

Everett W. Gilles a dit…

Yo
Sept minutes c'est beaucoup trop long, nos amis Ramones ont remis les pendules à l'heure 2mn-2mn30 c'est amplement suffisant.
Et encore, il s'agit là de minutes rapides.
Oui parce qu'on parle bien de rock là hein ?
J'avoue que j'ai un peu tendance à me perdre entre les souvenirs de Jimmy Koule et les commentaires enfiévrés qu'ils suscitent ...

Jimmy Jimi a dit…

Hola Everett,
Non, on ne parlait pas vraiment de rock, tu t'es effectivement un peu égaré!

Keith Michards a dit…

Le premier paragraphe mérite à lui seul le prix Goncourt. Parfois quelques phrases bien troussées suffisent à enflammer l'imagination !

Audrey a dit…

ASsez étrange ton final. Je m'attendais à un crescendo (et, à dire vrai, comme tu avais déjà beaucoup travaillé cet aspect du concert je me demandais comment tu allais t'en sortir). Et finalement, on a un peu un moment flottant, hors temps et hors espace. En tant que spectatrice, je ne sais pas si je n'aurais pas été frustrée, mais en que lectrice je trouve ça plutôt bien vu. C'est un peu comme la fin d'un rêve. On est juste au moment où on se dit qu'il faut qu'on se réveille sauf qu'on n'en pas envie, mais rien que le fait de se le dire ôte en partie du plaisir de rêver.
Je ne dirais rien sur ta métaphore... ^-^ Par contre je trouve le dernier paragraphe très réussi. Il traduit très bien et subtilement tout ce que ressent Jimi Koule. Et tu parles encore de traitres... Supense...

Et la toute dernière phrase, avec le démarrage d'un disque, est également un moment à part d'un concert. Quand cette musique enregistré démarre, il y a souvent quelque chose de mélancolique à l'entendre raisonner quand on a vécu un bon concert... Et je ne vois plus l'air de One fine Day (tout comme je ne connais pas la chanson de Roy Harper). D'ailleurs, mise à part une allusion avec l'un des textes d'une chanson, je ne vois pas trop le sens du tire par rapport au texte. Peut-être pour évoquer une sorte de regret?

Jimmy Jimi a dit…

Hello Keith,
Merci pour les compliments. Encore un effort et je pourrais peut-être prétendre au prix Nobel!

Hi Audrey,
Pour ce chapitre, je voulais éviter de me répéter en ne jouant pas sur la montée en volume, et ne pas user du cliché du final en feux d'artifice. J'ai préféré travailler sur le mélange des sentiments du narrateur, partagé entre ce qu'il a vécu sur le moment et ce qu'il connaît de la suite. Comme tu le sais, il y a un drame qui plane au-dessus du groupe. Le titre fait effectivement référence à la chanson, mais il appuie également sur le côté "si on recommençait tout depuis le début" tout en annonçant, également, le chapitre suivant.

Arewenotmen? a dit…

Le premier paragraphe est en effet anthologique... "repositionner mon sexe sur le bord du sillon"... l'image est proprement saisissante !

Jimmy Jimi a dit…

Hello Arewenotmen?,
Au milieu de la besogne, parfois, peut naître quelque fulgurance!

nestor b a dit…

J'aime vraiment bien cette fin de concert et tous ces sentiments exprimés. Métaphores, mélange de champs lexicaux qui collent à merveille à cette situation inoubliable. Peut-être l’amorce d'une tournée internationale ?
Bien joué Jimi Koule !

Jimmy Jimi a dit…

Hello Nestor,
Pas de tournée internationale - au contraire, ça va plutôt mal tourner...