114.
500
MILES
[THE
JOURNEYMEN]
Que
croyez-vous donc
que font les groupes, quand ils quittent
leur foyer pour partir jouer les saltimbanques sur la route
(je parle évidemment des vrais groupes, des bandes de potes, pas des
stars en Perfecto doublé de
vison, qui gagnent les aéroports en limousine avant de grimper dans
un
jet
privé, et dont le chanteur ne partage plus la même loge que le
guitariste
depuis
lurette)
? Eh
bien, quand ils ont fini de charger le matériel
dans
leur véhicule de fortune,
ils entassent des valises de cassettes (oui, à l'époque qui nous
occupe, c'était
encore
un objet précieux) pour
être certain de ne manquer de rien. Une fois installés plus
ou moins confortablement,
ils enfoncent la première bande dans la fente, monte à fond le
volume de l'autoradio, puis se mettent à brailler des histoires de
musique et
encore d'autres histoires de musique
par-dessus le merveilleux
boucan électrique en
faisant tourner les canettes de bière et les cigarettes...
Le
tremplin s'étira sur plusieurs mois et nous emmena dans toutes les
plus grandes villes de France, dont
nous ne vîmes, le plus souvent, qu'une salle de spectacles, un bar
de nuit et un hôtel douteux (le paradis du touriste, en quelque
sorte !).
Oui,
les voyages forment la jeunesse et les concerts soudent les groupes,
ce
n'est pas
juste un vieux tas de baratin. Les autres groupes (qui étaient
meilleurs d'escale en escale, le jury faisant
convenablement le boulot)
pouvaient s'inventer
des regards meurtriers, se
gausser
en apercevant notre étui à violoncelle
ou nous réclamer
un strip-tease général, ça
ne nous
effrayait plus du
tout
: nous montions sur scène comme si ça devait être l'ultime
fois, et nous expédions crânement
nos
cinq titres
à
la face de la lune sans nous soucier d'autre chose que de la couleur
de nos
chansons. Quelque
part entre Strasbourg, Lyon
ou Marseille,
nous devînmes un gang, une véritable fratrie. Enfin, presque (ces
deux mots maigrichons qui peuvent violer le sens de l'histoire).
Il
faudrait peut-être que je vous promène encore le long de deux ou
trois chapitres ; que j'ajoute un nouveau lot d'anecdotes (si
possible joliment
croustillantes)
sur les différents membres du jury ou sur
les groupes qui manquèrent, parfois de peu, de nous voler notre rêve
ultime
;
que
je vous conte dans le détail le jour où le combi flancha
lamentablement
au moche milieu de nulle part ; que je vous amuse avec la jupe de
Polina s'emberlificotant dans les broussailles et les fils
barbelés, alors qu'elle se cherchait un coin de
verdure
pour y déposer un
petit
pipi ; que je recrée
l'émotion du soir où
Olympia pleura en entendant ma dédicace... Je suppose que je devrais
au moins
jouer
le jeu du suspens lors de
la
demie finale. Hélas, je me sens à bout de force comme à bout de
mémoire.
Tout
se mélange, devient flou, tourne fou... Je m'en doutais et elle est
là, aussi
grosse
qu'un
ogre puant.
C'est une odeur qui monte en prenant les narines avant de saturer le
cerveau. Je
slalome péniblement autour des mots depuis des heures et déplacer
ne serait-ce qu'une virgule ressemble à un labeur surhumain.
A l'encre rouge, le Mal dessine des machins obscènes sur le papier,
et je ne sais où trouver le courage de lutter contre les horreurs du
passé. Il va me falloir vous quitter avant que ma page ne soit noyée
de larmes et autres dégueulasseries. La
dernière plage de la face
A est
rayée, je vous conseille de ne pas trop vous en émouvoir
; quand le disque sera retourné, nous pénétrerons dans une
nouvelle dimension ; cela devrait vous laisser le temps de vous
dégourdir les jambes, de vous servir un verre ou de changer de
chemise.
13 commentaires:
Strip-tease dis-tu ! Je me souviens d'une époque (pas si bénie que ça !) où les « À poil ! » fusaient d'un public englué dans une soûlocratie à 12°. Je l'ai entendu pour Lili Drop et Patricia Kaas, je l'ai même entendu pour Téléphone. Et je ne comprends toujours comment on peut assister à un concert dans un état qui ne permet plus d'apprécier autre chose qu'un rendu de pizza sur le macadam du petit matin.
C'est un peu comme visiter le Louvre les yeux fermés, ou regarder un film porno avec des moufles !!!
Hello Keith,
J'ai entendu des "A poil!" venant de gens qui ne semblaient même pas ivres. J'ai aussi vu des personnes se dénuder sur scène, alors qu'on le leur avait rien demander - hélas, c'était souvent des mecs!
"A poil", ou quelque chose d'approchant, je l'ai entendu à un concert d'Izia, il n'y a pas si longtemps. Autant dire que la fille du Grand Jacques s'est rebellé et a renvoyé le gros lourdaud dans les cordes.
Le van qui tombe en panne ... tiens ça me fait penser que c'était Nico qui conduisait le van du Velvet à leurs débuts, c'est en tout cas ce qu'elle raconte dans Uptight.
Life On The Road, ça mériterait un feuilleton entier !
Bon ben on met le casque lourd et on attend alors, merci de nous avoir prévenus ...
Hello Zocalo,
En plus, si ça marchait, ça se saurait!
Hi Everett,
Oui, c'est dans toutes les bios, et il paraîtrait qu'elle conduisait fort bien.
En effet, la vie sur la route aurait pu mériter un chapitre, comme d'autres passages du tremplin, mais j'ai voulu ce coup d’accélérateur pour mieux surprendre le lecteur, le faire tomber d'un coup dans les abîmes.
... Dans un livre tu pourras développer ce principe de survoler cette période mais avec davantage d'anecdotes, sauf si la suite reste dans ce décor. Ce qui serait chouette serait d'attaquer le prochain épisode dès demain ou après-demain, allez quoi, je suis certains qu'il est écrit dans ta tête, pas possible autrement.
Je déteste les feuilletons!!
Hello Devant,
La suite est tout sauf un chapitre à traiter dans l'urgence. J'ai évidemment l'histoire en tête, mais je ne sais pas du tout comment je vais l'amener; je ne suis même pas certain de tout écrire en un seul chapitre. Bien sur, les feuilletons ont leurs inconvénients, mais ils ont aussi l'avantage de laisser aux lecteurs le soin d'imaginer la suite!
Voilà que tu t'en sors plutôt bien. J'avais vraiment l'impression qu'avec ce concours, tu t'étais un peu piégé tout seul: ingérable sur la durée, répétitif etc. Et finalement tu arrives à nous raconter le truc sans vraiment nous le raconter et ça marche!
Et même s'il s'agit d'un chapitre de transition, tu y glisses des petites touches qui le rendent vivant et avec également ces petites phrases pleines magie que tu sais si bien distillé, avec ces images surprenantes et une émotion à fleur de peau. Bref, je m’attendais pas à ça! Donc bravo!
Le dernier paragraphe est vraiment troublant et créé un effet dramatique... du meilleur effet. Est-ce l'auteur qui parle, est-ce le héros... la confusion, déjà plusieurs fois rencontrées, me gênait un peu parfois, mais là...
Hello Audrey,
Je viens de relire ton commentaire et je n'y trouve aucun "mais"! Je plaisante, mais j'ai marché sur des œufs avec ce chapitre. Comme tu l'écris, j'ai failli me piéger moins même à cause des inévitables répétitions et le risque de raconter ce que tout le monde à déjà lu ailleurs. La "parade" m'est venue en travaillant le texte que j'ai tourné dans tous les sens pendant des heures. Ce que j'aime, c'est que ça apporte un balancement avec le drame annoncé très tôt et sur lequel je suis revenu plusieurs fois. Là, on s'attend à ce que ça dure et c'est justement le moment que je choisis pour accélérer. Je suis un peu crispé pour la suite, il ne va pas s'agir de se rater!
Hi Arewenotmen?,
Je ne suis quand même pas le premier à écrire à la première personne, donc à faire croire que l'auteur et le narrateur sont le même homme. Ce qui peut être plus troublant (mais j'adore faire ça), ce sont les interventions avec des sentiments présents venant se mêler à un récit passé. Quand on en abuse pas, ça peut donner une double lecture intéressante: voici ce qui se passa et voilà ce que je pense aujourd'hui de ce qui se passa...
Voilà qui donne du suspens encore plus qu'on en voudrait ! Hâte donc que tu retournes le disque.
Prends bien le temps qu'il faut car la face B que tu annonces a l'air d'un noir si profond que cet épisode 114 paraît être la dernière station avant l'autoroute (highway to hell ?) !!
Je trouve parfaits les deux premiers paragraphes. On se croirait avec Mizanu dans ce vieux van enfumé, à fouiller sous la banquette pour retrouver la cassette des New York Dolls perdue la veille, ou le bout de clope à partager jusqu'au prochain tabac. Et la fratrie du groupe de rock !
Le troisième (paragraphe) est tout simplement un bel exemple de ce que tu viens d'expliquer plus haut. Rien à rajouter.
Alors je me sers un verre, je change de chemise, et ...
salut...
alors vraiment bien, surtout la fin !
juste (pour éviter le "mais" ^^) je retirerais (mais tu fais comme tu veux) le "de deux ou trois chapitres " ce sont c'est mots qui m'ont faire penser "autoréférence vis à vis des commentaires" en lisant ce joli moment, joli moment qui justement ne tombe pas dans l'autoréférence ou dans l'autofiction...
sinon, c'est vraiment chouette... ça sent le cafard et l'angoisse qui se pointent
Hello Nestor,
Merci pour tes compliments, j'en ai bien besoin avant de me jeter dans la suite.
Hi Yggdralivre,
Je crois qu'on pourrait très bien lire le "deux ou trois chapitres" dans un livre classique qui ne renverrait donc à aucun commentaire; d'ailleurs, je n'y ai pas du tout pensé au moment de l'écriture. Je suis à un tournant particulièrement compliqué, mais ça va mieux depuis hier car j'ai presque bouclé le chapitre suivant.
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