115.
INVISIBILITY
[EYELESS
IN GAZA]
Les
étoiles
pleurèrent
toute
la
nuit
et je
n'entendis
rien...
Ici,
point d'ellipses,
de flous
ou
de
trous
de
mémoire ; le
film
s'est
trop
souvent
joué
et
rejoué
dans
ma
cervelle
pour
que
chaque
détail
ne s'y
soit
incrusté
à jamais.
Les
étoiles
pleurèrent
toute
la
nuit,
mais
la
bande
du
magnétophone
qui aurait
pu enregistrer
notre
premier
album
faisait
trop
de bruit
au
fond de mon rêve majuscule.
Au
petit jour, Olympia
me
réveilla
avec
un
baiser
de
princesse
et un
large
bouquet
de
renoncules
(c'est
super
sexy
une fille
qui
offre
des
fleurs
à
un
garçon).
Pendant
que
j'enfilais
ma panoplie de super héros rock'n'rollien, une
nouvelle
chanson
tournait
en boucle sur toutes les radios, mais,
quand
on possède
plusieurs
centaines
d'albums
merveilleux,
on ne
se soucie
guère
de
ce
genre
de fadaise...
A
midi,
nous
déjeunâmes
en
amoureux à
la
terrasse
d'une
brasserie
du quartier. Le
soleil
planait
plus haut qu'un baba tripant sur un vieux Tangerine Dream ! Il y a
des jours où l'on sent que rien ne peut vous arriver sauf le
meilleur. Evidemment,
on peut se méprendre. Alors, quand vient la chute,
elle est
vraiment
spectaculaire,
mais on ne peut vivre l’œil fixé sur la couleur de sa bonne
étoile.
«
C'est
une
si belle journée pour
gagner un tremplin
! s'exclama
Olympia.
»
Nous
marchâmes
jusqu'au Champs-de-Mars
en
délirant
toujours
davantage.
La
Tour
Eiffel
se
serait
arrachée
de
terre
pour
se
mettre
à
gambader,
puis à
danser
sur
les
pelouses,
que
cela
ne
nous
aurait
surpris
que
modérément.
Je
buvais chaque seconde pour
m'en
souvenir
toujours.
Alors
que
nous
arrivions
à l'intersection
de
la
rue
Desaix
et
du
boulevard
de
Grenelle,
je
me
vis
comme
dans
un
miroir
: je marchais
en tenant
la
main
de
la
plus
belle
fille
du
monde,
et
je
n'étais
peut-être
qu'à
cinq
chansons
de
dépasser
le
mur
du
son. Cela
représentait
sans
doute
trop
de
bonheur
pour
un seul
homme,
même
les moins perspicaces l'auront noté.
(Il
y a une
petite
bricole
que
j'adore,
c'est
quand
un
auteur
fait
croire
qu'il
a
mangé
la
moitié
du
suspens,
alors
qu'il
n'a
fait
qu'ajouter
de
la
tension.
C'est
dommage
que
je
n'ai
pas
le
cœur
à
fanfaronner.)
Partout,
des
étoiles
agonisantes
jonchaient
les
trottoirs
et
les
caniveaux
; Olympia
abrégeait
leurs
souffrances
à coups
de
talons
aiguilles
sans
se
rendre
compte
de
rien.
Le
diable
n'a
pas
besoin
d'être
malin,
nos
rêves
nous
aveuglent.
Dans
le
taxi
qui
nous
menait
vers
L'Elysée Montmartre,
la
radio
aurait pu jouer
cette
nouvelle
chanson qui venait de faire une entrée fracassante dans le
Top
50, mais
le
chauffeur préférait le classique,
Debussy
pour être exact.
Le
boulevard
de
Rochechouart
n'était que sables mouvants mais, étrangement, cela n'empêchait
pas les jumeaux de danser comme deux mabouls et de chanter : « Même
pas peur ! Même pas peur ! » Heureux les simples d'esprit, ils
s'offrent quelques heures de répit.
Un
nuage voila la
face souriante
du
soleil, l'espace d'un instant. Oh,
rien de bien inquiétant –
beaucoup
moins, en tous cas, que le retard de Richard.
«
C'est
bon, on va pas s'énerver
pour
un quart d'heure, dit Polina, ça peut arriver à tout le monde.
–
Non,
répondit Chris, personne se
pointe à
la bourre le
plus beau jour de sa vie ; il va nous refiler
la poisse, ce crétin. »
Il
commença à pleuvoir quelques gouttes, rien de bien inquiétant...
«
J'ai laissé sonner cinquante fois, nous
rapporta Olympia,
mais
personne
répond... Jimmy, tu vas faire la voix pendant la balance, ça va le
faire venir. »
Il
y a des angoisses qui ronge pire que la drogue la
plus violente.
On jouait n'importe quoi, n'importe comment, en espérant qu'il
franchirait cette fichue porte dans la seconde suivante. Polina
rendit son assiette de coquillettes entre deux couplets. On
ne pense à rien avant de mourir, on ose juste espérer qu'une
sorte de miracle pourrait
encore être du domaine du possible.
«
L'organisateur n'arrive pas non plus, il faut absolument que vous
passiez en dernier, qu'on gagne du temps.
– Ils
sont peut-être ensemble.
– Qu'est-ce
que
tu voudrais
qu'ils
foutent
ensemble,
merde
!
– Vous
êtes
bien
gentil,
mais j'ai d'autres balances
à assurer
derrière la
votre.
»
Olympia
et Isidore
effectuaient
des allers
retours
incessants entre la cabine téléphonique
et les loges, mais cela continuait de sonner dans le vide, un machin
abyssal.
L'organisateur
finit par arriver (sans
Richard, évidemment),
il avait une tête des mauvais jours, une
tête de circonstance.
«
J'ai appris pour votre chanteur, je suis désolé, qu'est-ce que vous
allez faire ?
– On
va passer au plan B, annonça Alphonse.
– Très
bien, dans ce cas, je vais vous laisser vous préparer, et je vous
souhaite bonne chance.
– Parce
qu'on a un plan B, ne put s'empêcher d'hurler Guillaume, pourquoi on
me l'avait pas dit plus tôt ?
– Il
est hors de question de crever sans réagir.
On va aller jusqu'au bout du truc, mourir
les instruments à la main.
Jimmy va prendre le micro sur tout
le concert.
– Tu
sais bien que c'est impossible, je peux assurer sur mes deux titres,
mais les chansons avec couplets et refrains, c'est pas pour ma voix.
– On
n'a pas le choix. Tu vas envoyer comme tu as l'habitude, faut juste
que tu fasses gaffe de pas perdre le rythme en route. Ce sera pas
comme avec l'autre enfoiré, mais ta passion
et ta sincérité
peuvent
emporter le morceau. »
Personne
ne broncha.
Polina
n'avait déjà plus de larmes à verser dans la pinte de bière
qu'elle ne toucha pas. Isidore retourna téléphoner une énième
fois. Pour la toute première fois, Olympia me sembla moins belle. Je
n'osai même pas regarder les frangins.
J'en
avais rêvé de mon jour de gloire et le micro de Mizanu allait enfin
s'offrir à moi seul. Comment aurais-je pu imaginer qu'il serait
enveloppé de papier hygiénique usagé ?
A
l'extérieur, il pleuvait des cordes ; j'en attrapai une pour me
pendre au
milieu du boulevard maudit.
19 commentaires:
Episode absolument superbe, comme en étant de grâce, même la photo colle parfaitement. Mes compliments.
Il y a une réelle satisfaction à enfin avoir ce retournement qui a été moultement annoncé (avec pas mal d’effets de manche précédemment. ^-^) Rétroactivement, je pense que tu l’as annoncé trop tôt.
Je note que sur le plan émotionnel, même si tu insistes beaucoup sur cette dimension, que tu trouves pas mal de » belles phrases pour l’évoquer, je ne suis pas vraiment rentrée dedans. D’abord, pour cela, le format que tu adoptes est délicat car une émotion se provoque plus sur la longueur qu’en quelques lignes. Mais ce n’est pas si grave que ça, parce qu’à défaut de la ressentir, on la comprend. Disons que cette émotion à fleur de peau que tu veux communiquer joue plus le rôle d’ultime effet d’annonce. Tu nous dis dans le creux de l’oreille : « ça y est vous y êtes enfin, donc apprêtez-vous à avoir mal pour lui ! ».
Pour ce qui est de ta parenthèse « auto-satisfaite », si elle crée une certaine distance entre le récit et l’émotion qu’il veut provoquer et entre le narrateur/héros et le lecteur que nous tu as déjà employé par le passé, je me demande si elle a vraiment sa place. Elle est juste sur le fond, mais pas sûr que l’effet que tu provoques en nous soit compatible avec ce que tu souhaites créer. Au contraire, je pense que tu devrais chercher une plus proximité avec le lecteur plutôt que cette distanciation.
Mais (et là c’est un « mais » positif ^-^) ce que tu as vraiment réussi, c’est de nous projeter dans le drame qui s’annonce. Même s’il n’y a pas de vraie surprise car tout était en place et annoncé depuis longtemps (et cela rend l’ensemble semblable à une grande tragédie avec son avancée inexorable), le fait que Jimmy doive chanter avec sa voix de casserole pile à ce moment qui correspond au firmament d’un rêve parfait a été pour moi douloureux et je me suis vraiment mise à sa place. Et le fait que le texte s’interrompt brutalement sur cette séquence est encore plus effrayant car le lecteur doit combler le vide devant lui avec ce que va vivre notre pauvre Jimmy. Vraiment, j’ignore si ça vient de moi ou de toi, mais je trouve cette situation douloureuse. Et je compatis vraiment.
C’est intéressant parce que tu as tellement joué avec les rêves de ton héros et ses fantasmes (qui sont commun en fait certainement à tous tes lecteurs qui ont vécu le rock très fort intérieurement comme une sorte de nécessité intérieur plutôt que comme un loisir comme les autres) qu’on aurait envie de le voir les vivre (et également de les voir vivre à notre place). Il y a une forme de cruauté de ta part tant sur ton personnage que pour le lecteur/fan de rock à qui tu t’adresses, car, du coup, c’est aussi nos rêves et fantasmes à nous que tu détruis.
Bref, tu as réussi à nous faire vivre quelque chose que pourtant nous savions fort bien qu’elle arriverait d’une manière plus intense que je ne l’imaginais. Aucune surprise dans tout ça, mais on prend la baffe dans la gueule come Jimmy. Et elle fait mal. Et en fait, tu as réussi ce que je ne pensais pas que tu réussirais (alors que je pensais que tu réussirais la partie émotionnelle, qui peut-être viendra après du coup), c’est-à-dire à donner à cette scène une vraie dimension de tragédie.
Alors après, qu’il y ait Eyeless in Gaza en fond sonore, c’est encore plus bouleversant. Bravo! Et tu noteras que mes "mais" n'en sont pas forcément, plus un partage de ce que j'ai ressenti pour que tu saches si ce que j'ai pu ressentir était conforme à ce que tu souhaitais.
Hello cher anonyme,
Un si beau compliment aurait mérité une signature! En tous cas, merci, voilà qui me met du baume au cœur pour la suite.
Hi Audrey,
J'ai souhaité annoncé le drame très tôt pour pouvoir jouer au montagnes russes ensuite, c'est à dire l'oublier pour pouvoir plus violemment faire tomber le couperet.
Je voulais éviter de trop m'étendre sur ce que tu appelles le "plan émotionnel" pour privilégier l'action. Je pense qu'en étend dans ce mouvement, le lecteur peut sentir la douleur sans qu'il soit besoin d'en rajouter. De plus, ce n'est pas encore terminé; pour ce qui est de l'émotionnel, il y aura encore le concert et, surtout, les conséquences liées à ces deux chapitres.
Tout était, en effet, annoncé mais non précisé; d'ailleurs, le lecteur n'est pas encore sensé connaître les raisons de l'absence de Richard.
J'ai évidemment fait exprès de mettre Jimmy sur le devant de la scène au pire moment pour ajouter du poids au drame. Oui, il y a beaucoup de cruauté, ici, et ce n'est qu'un début...
La dernière phrase est sublime.
Encore un épisode pour nous mettre les nerfs à vif… la suite… la suite… la suite !
Et 'tit Jimmy fait pas le con avec ta voix !!!
Hola Keith,
C'est ainsi que je vois le rock, un objet qui joue avec les nerfs!
Ah non mais je croyais que c'était un truc grave qui allait arriver.
Alors que là, l'absence du chanteur d'un groupe pour la finale d'un tremplin ... pfff une paille !
Tu vas voir Jimmy, tout va bien se passer.
Hello Everett,
Je n'en suis pas persuadé!
J'ai lu lu et relu. Un peu comme j'aurai aimé le faire sur "Usual Suspect" voir et revoir lentement... Quel rapport? C'est que je me suis attardé sur les détails, une impression que tu as semé des petits cailloux. Qu'il y a de l'anodin pas tant que ça? Effectivement un chanteur qui lâche c'est pas cool, OK c'est un tremplin important pour les petits jeunes.. Mais tu n'as pas pu utiliser la métaphore du mal absolu juste pour ça.Non
Hello Devant,
Eh bien, si ou presque. Le presque étant la conséquence.
Je te sens déçu, j'espère que la suite rattrapera ça...
Bien plus intrigué que déçu, d'ailleurs pas du tout déçu... Au contraire tu m'as pris dans tes filets. J'attends et ensuite je te dirai sur quoi mon attention, à tord ou à raison, s'est porté.
hum... je sais pas... en fait je pense que j'aurais apprécier d'autant plus cet opus si je n'avais pas lu les commentaires :)
parce que là, je comprends et je vois l'aspect "montagne russe", mais je ne le ressens pas... enfin si mais pas "directement", en tous les cas peut-être pas aussi fortement que tu le souhaiterait.
maintenant ça reste un très bon chapitre parce que... mon dieu... quelle horrible et terrible situation... même (surtout) pour le lecteur qui veut et ne veut pas la suite :)
Hello Devant,
Il faut bien se mettre dans le contexte: le groupe vient de jouer de ville en ville et leur chanteur (déjà sujet à interrogations) disparaît le jour de la finale, le jour où le groupe s'approche du Graal. Et puis, dans le prochain chapitre, et c'est important, nous apprendrons le pourquoi de cette absence et, là, tu pourras vraiment juger si le plan était ou non diabolique. Tu as fait une lecture "Usual suspect", mais j'ai l'impression qu'une phrase t'a échappée. Indice: "une nouvelle chanson tournait en boucle"...
Hi Yggdralivre,
Tu aurais peut-être mieux senti l'aspect "montagnes russes" dans une lecture plus globale. Ce n'est pas si important, c'est juste un jeu de tension, le principal restant la mélodie. La suite immédiate va ajouter du poids au drame, mais ce n'est qu'une partie de l'iceberg...
Je trouve que ce chapitre est l'un des plus réussis de la saga. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux m'empêcher d'imaginer ce récit comme une partie d'un ensemble, comme si ton histoire devait être un jour publiée sous forme de vrai roman, en papier, avec un CD regroupant l'ensemble des titres (suggestion gratuite). Dans ce contexte, ce chapitre m'apparaît très bien construit, avec une tension qui monte de ligne en ligne. C'est remarquablement bien fait.
Seul bémol, comme Audrey, comme Yggdralivre, je regrette que tu spoiles le futur chapitre. Je préfère ne pas me poser la question de l'absence de Richard, je ne VEUX pas savoir à ce niveau pourquoi il n'est pas là et je t'en veux de m'obliger à échafauder des hypothèses. Mais bon, ce léger reproche ne pèse rien face au plaisir que j'ai à te lire.
J'écoute en ce moment Eyeless in Gaza .. je ne sais pas et je ne veux pas savoir non plus ce qui est arrivé à Richard ! Superbe chapitre. Beaucoup de très belles images et plein de coups portés comme il faut au cœur du lecteur que je suis. J'attends, comme d'autres, la suite avec impatience, curiosité et angoisse. Putain mais Jimmy, l'indice que tu donnes, c'est quand même pas ce que je pense ? Me dis pas que c'est pas vrai ? En même temps si c'est ça, t'inquiète, on est nombreux ici, on peut se serrer les coudes, non Jimmy t'es pas tout seul, on peut créer un comité de soutien, je sais pas, un truc genre Brigade de Remise en Place des Détraqués, et tu pourrais changer la suite de l'histoire ! Et merde, mort aux cons, ça m'énerve tiens, t'as réussis ton coup mec !
Hello Zocalo,
J'espère bien que ce récit fait partie d'un ensemble et qu'un jour vous aurez l'occasion de vous diriger vers la caisse d'un libraire avec mon livre en main! Par contre, le CD me semble loin d'être essentiel, les chansons n'étant utilisées que pour leur titre.
Hi Nestor,
J'ai été obligé d'en passer par là, les histoires où tout fonctionne à merveille n'intéressent personne!
Mais oui, d'ailleurs ça n'a pas le même intérêt si c'est pas flippant. Continue dans cette veine (mais fais pas comme avec la corde).
Ainsi c'était donc çà... on vibre, on prend peur, on s'apprête à pleurer le sort de ce pauvre tambourine man...
La Fender VI est créée en 1961, et reprend le concept de la basse Danelectro à six cordes sortie en 1956, avec un accordage de mi à mi, une octave en dessous d'une guitare.
-L.V.A-
Sorry, mon com. est pour le post suivant.
L.V.A-
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