lundi 30 mai 2016

Pour la beauté du geste (feuilleton électrique) par Jimmy Jimi # 116


116. A DAY IN THE LIFE [THE BEATLES]

   Pour la finale, le jury se composait du responsable de la communication du label (un escogriffe avec une vilaine tête à ne pas faire la différence entre une guitare électrique vintage et un fer à repasser d'occasion !), de Jean-William Toury (manager et auteur des textes de Bijou, futur collaborateur à Jukebox Magazine et Rock & Folk), de Paul Alessandrini (rock-critic à Rock & Folk, écrivain et photographe) et de Théo Hakola (chanteur et guitariste d'Orchestre Rouge, puis de Passion Fodder, écrivain et homme de théâtre). Ils formaient une assez jolie brochette, laquelle, en de plus favorables circonstances, aurait davantage pu nous émouvoir.
   L'ordre de passage des groupes fut tiré au sort et nous héritâmes du numéro trois. Pourquoi pas ? De toute façon, nous ne nous faisions plus d'illusions, Richard ne viendrait plus, même si nous l'attendions jusqu'à la fin des temps.

   Je n'ai toujours pas trouvé de mot pour décrire notre état... Des ouïes moins troublées par d’incessantes déflagrations électriques auraient pu entendre couler une pluie noire à l'intérieur de nos corps meurtris.

   No Man's Band ouvrit le bal tragique. Si vous arrivez à imaginer Suicide accompagné par trois jolies violonistes en furie, vous n'êtes pas loin du compte. Ils auraient largement mérité d'enregistrer, mais je n'entendis plus jamais parler d'eux.
   Only For Fans donnait dans le psychédélisme à l'anglaise, avec guitares et fringues millésimées, et offrirent un set très chic, mais manquant d'un brin d'originalité.
   En vérité, j'observais le spectacle d'un œil morne et les oreilles tombantes – un pied, déjà, dans la tombe.

   Des larmes remplacèrent l'habituel discours d'Olympia. Nous nous serrâmes les uns contre les autres, ivres de haine et de chagrin. On aurait dit une vieille bande de Sioux déplumés avant l'ultime combat. Il ne manquait que les peintures de guerre.

   Sans un bonsoir, un merci ou un mot entre les titres, nous expédiâmes nos cinq malheureuses chansons dans le mur de l'ultra violence. Si j'avais su chanter comme j'en avais toujours rêvé, je crois que ça n'aurait rien changer à l'affaire : mes textes, poussés par le vacarme ambiant, seraient sortis de la même sale manière, éructés comme des insultes adressées à la terre entière. Je n'ai absolument aucune idée de ce que cela pu donner, si ce fut génial, acceptable ou pathétique – et cela n'a pas la moindre importance...

   L'organisateur nous attendait devant la loge et nous demanda de le suivre dans un bureau voisin.
   « Je suis désolé... J'ai entendu cette chanson, ce matin... C'est pour ça que je suis arrivé en retard... Il a du entrer en studio entre les dates du tremplin... Le grand patron ne veut rien entendre... Le règlement, c'est le règlement... Vous n'aviez pas le droit de jouer des chansons déjà enregistrées...
   – Si quelqu'un comprend quelque chose qu'il me fasse signe, demanda Cyril. »

   Alors, l'organisateur sortit deux disques de sa sacoche : un simple et un album. Sur les deux pochettes s'exposait en gros plan la trogne immonde du « Monstre » et son nom en lettres capitales : RICHARD COXE.
   L'organisateur posa le disque sur la platine du bureau, pendant que j'inspectais le verso de la pochette. Il y avait là tous les titres de nos chansons, ainsi que la mention : « auteur & compositeur : Richard Coxe ».
   La batterie et les percussions avaient été remplacés par une hideuse boîte à rythmes claudicante, la basse, le violoncelle et la trompette par de vulgaires nappes de synthé, et s'il restait encore une guitare, elle miaulait salement dans le genre hard F.M. du plus mauvais goût. La voix du « Monstre » était mixée des kilotres devant cette soupe infâme, ce qui permettait de bien entendre mes textes, saccagés puis rafistolés à grands méchants coups de rimes téphos.

   Quand je me retournai pour voir la réaction d'Olympia, elle avait disparue. Je courus hors de la salle et la vis s’engouffrer dans un taxi.
   De retour dans le bureau, le disque du « Monstre » tournait toujours, mais tout le monde s'était volatilisé – comme par désenchantement.


   Voilà les faits, exposés dans toute leur froideur crasse, parce que la trahison, comme la mort ou la folie, est un plat qu'on nous force à avaler congelé, à même la barquette puante. Croyez bien que si j'avais pu y ajouter une once de sentiment, je ne m'en serais pas privé, mais il y a des statues qu'on ne peut faire danser, des émotions qu'on ne sait inventer.