lundi 23 mai 2016

Pour la beauté du geste (feuilleton électrique) par Jimmy Jimi # 115


115. INVISIBILITY [EYELESS IN GAZA]

   Les étoiles pleurèrent toute la nuit et je n'entendis rien...

   Ici, point d'ellipses, de flous ou de trous de mémoire ; le film s'est trop souvent joué et rejodans ma cervelle pour que chaque détail ne s'y soit incrusté à jamais.

   Les étoiles pleurèrent toute la nuit, mais la bande du magnétophone qui aurait pu enregistrer notre premier album faisait trop de bruit au fond de mon rêve majuscule.

   Au petit jour, Olympia me réveilla avec un baiser de princesse et un large bouquet de renoncules (c'est super sexy une fille qui offre des fleurs à un garçon).

   Pendant que j'enfilais ma panoplie de super héros rock'n'rollien, une nouvelle chanson tournait en boucle sur toutes les radios, mais, quand on possède plusieurs centaines d'albums merveilleux, on ne se soucie guère de ce genre de fadaise...

   A midi, nous déjeunâmes en amoureux à la terrasse d'une brasserie du quartier. Le soleil planait plus haut qu'un baba tripant sur un vieux Tangerine Dream ! Il y a des jours où l'on sent que rien ne peut vous arriver sauf le meilleur. Evidemment, on peut se méprendre. Alors, quand vient la chute, elle est vraiment spectaculaire, mais on ne peut vivre l’œil fixé sur la couleur de sa bonne étoile.

   « C'est une si belle journée pour gagner un tremplin ! s'exclama Olympia. »

   Nous marchâmes jusqu'au Champs-de-Mars en délirant toujours davantage. La Tour Eiffel se serait arrachée de terre pour se mettre à gambader, puis à danser sur les pelouses, que cela ne nous aurait surpris que modérément. Je buvais chaque seconde pour m'en souvenir toujours. Alors que nous arrivions à l'intersection de la rue Desaix et du boulevard de Grenelle, je me vis comme dans un miroir : je marchais en tenant la main de la plus belle fille du monde, et je n'étais peut-être qu'à cinq chansons de dépasser le mur du son. Cela représentait sans doute trop de bonheur pour un seul homme, même les moins perspicaces l'auront noté. (Il y a une petite bricole que j'adore, c'est quand un auteur fait croire qu'il a mangé la moitdu suspens, alors qu'il n'a fait qu'ajouter de la tension. C'est dommage que je n'ai pas le cœur à fanfaronner.)

   Partout, des étoiles agonisantes jonchaient les trottoirs et les caniveaux ; Olympia abrégeait leurs souffrances à coups de talons aiguilles sans se rendre compte de rien. Le diable n'a pas besoin d'être malin, nos rêves nous aveuglent.

   Dans le taxi qui nous menait vers L'Elysée Montmartre, la radio aurait pu jouer cette nouvelle chanson qui venait de faire une entrée fracassante dans le Top 50, mais le chauffeur préférait le classique, Debussy pour être exact.
Le boulevard de Rochechouart n'était que sables mouvants mais, étrangement, cela n'empêchait pas les jumeaux de danser comme deux mabouls et de chanter : « Même pas peur ! Même pas peur ! » Heureux les simples d'esprit, ils s'offrent quelques heures de répit.

   Un nuage voila la face souriante du soleil, l'espace d'un instant. Oh, rien de bien inquiétant – beaucoup moins, en tous cas, que le retard de Richard.

   « C'est bon, on va pas s'énerver pour un quart d'heure, dit Polina, ça peut arriver à tout le monde.
   – Non, répondit Chris, personne se pointe à la bourre le plus beau jour de sa vie ; il va nous refiler la poisse, ce crétin. »

   Il commença à pleuvoir quelques gouttes, rien de bien inquiétant...

   « J'ai laissé sonner cinquante fois, nous rapporta Olympia, mais personne répond... Jimmy, tu vas faire la voix pendant la balance, ça va le faire venir. »

    Il y a des angoisses qui ronge pire que la drogue la plus violente. On jouait n'importe quoi, n'importe comment, en espérant qu'il franchirait cette fichue porte dans la seconde suivante. Polina rendit son assiette de coquillettes entre deux couplets. On ne pense à rien avant de mourir, on ose juste espérer qu'une sorte de miracle pourrait encore être du domaine du possible.

   « L'organisateur n'arrive pas non plus, il faut absolument que vous passiez en dernier, qu'on gagne du temps.
   – Ils sont peut-être ensemble.
   – Qu'est-ce que tu voudrais qu'ils foutent ensemble, merde !
   – Vous êtes bien gentil, mais j'ai d'autres balances à assurer derrière la votre. »

   Olympia et Isidore effectuaient des allers retours incessants entre la cabine téléphonique et les loges, mais cela continuait de sonner dans le vide, un machin abyssal.

   L'organisateur finit par arriver (sans Richard, évidemment), il avait une tête des mauvais jours, une tête de circonstance.
   « J'ai appris pour votre chanteur, je suis désolé, qu'est-ce que vous allez faire ?
   – On va passer au plan B, annonça Alphonse.
   – Très bien, dans ce cas, je vais vous laisser vous préparer, et je vous souhaite bonne chance.
   – Parce qu'on a un plan B, ne put s'empêcher d'hurler Guillaume, pourquoi on me l'avait pas dit plus tôt ?
   – Il est hors de question de crever sans réagir. On va aller jusqu'au bout du truc, mourir les instruments à la main. Jimmy va prendre le micro sur tout le concert.
  – Tu sais bien que c'est impossible, je peux assurer sur mes deux titres, mais les chansons avec couplets et refrains, c'est pas pour ma voix.
   – On n'a pas le choix. Tu vas envoyer comme tu as l'habitude, faut juste que tu fasses gaffe de pas perdre le rythme en route. Ce sera pas comme avec l'autre enfoiré, mais ta passion et ta sincérité peuvent emporter le morceau. »

   Personne ne broncha. Polina n'avait déjà plus de larmes à verser dans la pinte de bière qu'elle ne toucha pas. Isidore retourna téléphoner une énième fois. Pour la toute première fois, Olympia me sembla moins belle. Je n'osai même pas regarder les frangins.

   J'en avais rêvé de mon jour de gloire et le micro de Mizanu allait enfin s'offrir à moi seul. Comment aurais-je pu imaginer qu'il serait enveloppé de papier hygiénique usagé ?

   A l'extérieur, il pleuvait des cordes ; j'en attrapai une pour me pendre au milieu du boulevard maudit.




19 commentaires:

Anonyme a dit…

Episode absolument superbe, comme en étant de grâce, même la photo colle parfaitement. Mes compliments.

Audrey a dit…

Il y a une réelle satisfaction à enfin avoir ce retournement qui a été moultement annoncé (avec pas mal d’effets de manche précédemment. ^-^) Rétroactivement, je pense que tu l’as annoncé trop tôt.
Je note que sur le plan émotionnel, même si tu insistes beaucoup sur cette dimension, que tu trouves pas mal de » belles phrases pour l’évoquer, je ne suis pas vraiment rentrée dedans. D’abord, pour cela, le format que tu adoptes est délicat car une émotion se provoque plus sur la longueur qu’en quelques lignes. Mais ce n’est pas si grave que ça, parce qu’à défaut de la ressentir, on la comprend. Disons que cette émotion à fleur de peau que tu veux communiquer joue plus le rôle d’ultime effet d’annonce. Tu nous dis dans le creux de l’oreille : « ça y est vous y êtes enfin, donc apprêtez-vous à avoir mal pour lui ! ».

Pour ce qui est de ta parenthèse « auto-satisfaite », si elle crée une certaine distance entre le récit et l’émotion qu’il veut provoquer et entre le narrateur/héros et le lecteur que nous tu as déjà employé par le passé, je me demande si elle a vraiment sa place. Elle est juste sur le fond, mais pas sûr que l’effet que tu provoques en nous soit compatible avec ce que tu souhaites créer. Au contraire, je pense que tu devrais chercher une plus proximité avec le lecteur plutôt que cette distanciation.

Mais (et là c’est un « mais » positif ^-^) ce que tu as vraiment réussi, c’est de nous projeter dans le drame qui s’annonce. Même s’il n’y a pas de vraie surprise car tout était en place et annoncé depuis longtemps (et cela rend l’ensemble semblable à une grande tragédie avec son avancée inexorable), le fait que Jimmy doive chanter avec sa voix de casserole pile à ce moment qui correspond au firmament d’un rêve parfait a été pour moi douloureux et je me suis vraiment mise à sa place. Et le fait que le texte s’interrompt brutalement sur cette séquence est encore plus effrayant car le lecteur doit combler le vide devant lui avec ce que va vivre notre pauvre Jimmy. Vraiment, j’ignore si ça vient de moi ou de toi, mais je trouve cette situation douloureuse. Et je compatis vraiment.

C’est intéressant parce que tu as tellement joué avec les rêves de ton héros et ses fantasmes (qui sont commun en fait certainement à tous tes lecteurs qui ont vécu le rock très fort intérieurement comme une sorte de nécessité intérieur plutôt que comme un loisir comme les autres) qu’on aurait envie de le voir les vivre (et également de les voir vivre à notre place). Il y a une forme de cruauté de ta part tant sur ton personnage que pour le lecteur/fan de rock à qui tu t’adresses, car, du coup, c’est aussi nos rêves et fantasmes à nous que tu détruis.

Bref, tu as réussi à nous faire vivre quelque chose que pourtant nous savions fort bien qu’elle arriverait d’une manière plus intense que je ne l’imaginais. Aucune surprise dans tout ça, mais on prend la baffe dans la gueule come Jimmy. Et elle fait mal. Et en fait, tu as réussi ce que je ne pensais pas que tu réussirais (alors que je pensais que tu réussirais la partie émotionnelle, qui peut-être viendra après du coup), c’est-à-dire à donner à cette scène une vraie dimension de tragédie.

Alors après, qu’il y ait Eyeless in Gaza en fond sonore, c’est encore plus bouleversant. Bravo! Et tu noteras que mes "mais" n'en sont pas forcément, plus un partage de ce que j'ai ressenti pour que tu saches si ce que j'ai pu ressentir était conforme à ce que tu souhaitais.

Jimmy Jimi a dit…

Hello cher anonyme,
Un si beau compliment aurait mérité une signature! En tous cas, merci, voilà qui me met du baume au cœur pour la suite.

Hi Audrey,
J'ai souhaité annoncé le drame très tôt pour pouvoir jouer au montagnes russes ensuite, c'est à dire l'oublier pour pouvoir plus violemment faire tomber le couperet.
Je voulais éviter de trop m'étendre sur ce que tu appelles le "plan émotionnel" pour privilégier l'action. Je pense qu'en étend dans ce mouvement, le lecteur peut sentir la douleur sans qu'il soit besoin d'en rajouter. De plus, ce n'est pas encore terminé; pour ce qui est de l'émotionnel, il y aura encore le concert et, surtout, les conséquences liées à ces deux chapitres.
Tout était, en effet, annoncé mais non précisé; d'ailleurs, le lecteur n'est pas encore sensé connaître les raisons de l'absence de Richard.
J'ai évidemment fait exprès de mettre Jimmy sur le devant de la scène au pire moment pour ajouter du poids au drame. Oui, il y a beaucoup de cruauté, ici, et ce n'est qu'un début...

Keith Michards a dit…

La dernière phrase est sublime.
Encore un épisode pour nous mettre les nerfs à vif… la suite… la suite… la suite !
Et 'tit Jimmy fait pas le con avec ta voix !!!

Jimmy Jimi a dit…

Hola Keith,
C'est ainsi que je vois le rock, un objet qui joue avec les nerfs!

Everett W. Gilles a dit…

Ah non mais je croyais que c'était un truc grave qui allait arriver.
Alors que là, l'absence du chanteur d'un groupe pour la finale d'un tremplin ... pfff une paille !
Tu vas voir Jimmy, tout va bien se passer.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Everett,
Je n'en suis pas persuadé!

DevantF a dit…

J'ai lu lu et relu. Un peu comme j'aurai aimé le faire sur "Usual Suspect" voir et revoir lentement... Quel rapport? C'est que je me suis attardé sur les détails, une impression que tu as semé des petits cailloux. Qu'il y a de l'anodin pas tant que ça? Effectivement un chanteur qui lâche c'est pas cool, OK c'est un tremplin important pour les petits jeunes.. Mais tu n'as pas pu utiliser la métaphore du mal absolu juste pour ça.Non

Jimmy Jimi a dit…

Hello Devant,
Eh bien, si ou presque. Le presque étant la conséquence.
Je te sens déçu, j'espère que la suite rattrapera ça...

DevantF a dit…

Bien plus intrigué que déçu, d'ailleurs pas du tout déçu... Au contraire tu m'as pris dans tes filets. J'attends et ensuite je te dirai sur quoi mon attention, à tord ou à raison, s'est porté.

Anonyme a dit…

hum... je sais pas... en fait je pense que j'aurais apprécier d'autant plus cet opus si je n'avais pas lu les commentaires :)
parce que là, je comprends et je vois l'aspect "montagne russe", mais je ne le ressens pas... enfin si mais pas "directement", en tous les cas peut-être pas aussi fortement que tu le souhaiterait.
maintenant ça reste un très bon chapitre parce que... mon dieu... quelle horrible et terrible situation... même (surtout) pour le lecteur qui veut et ne veut pas la suite :)

Jimmy Jimi a dit…

Hello Devant,
Il faut bien se mettre dans le contexte: le groupe vient de jouer de ville en ville et leur chanteur (déjà sujet à interrogations) disparaît le jour de la finale, le jour où le groupe s'approche du Graal. Et puis, dans le prochain chapitre, et c'est important, nous apprendrons le pourquoi de cette absence et, là, tu pourras vraiment juger si le plan était ou non diabolique. Tu as fait une lecture "Usual suspect", mais j'ai l'impression qu'une phrase t'a échappée. Indice: "une nouvelle chanson tournait en boucle"...

Hi Yggdralivre,
Tu aurais peut-être mieux senti l'aspect "montagnes russes" dans une lecture plus globale. Ce n'est pas si important, c'est juste un jeu de tension, le principal restant la mélodie. La suite immédiate va ajouter du poids au drame, mais ce n'est qu'une partie de l'iceberg...

Zocalo a dit…

Je trouve que ce chapitre est l'un des plus réussis de la saga. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux m'empêcher d'imaginer ce récit comme une partie d'un ensemble, comme si ton histoire devait être un jour publiée sous forme de vrai roman, en papier, avec un CD regroupant l'ensemble des titres (suggestion gratuite). Dans ce contexte, ce chapitre m'apparaît très bien construit, avec une tension qui monte de ligne en ligne. C'est remarquablement bien fait.

Seul bémol, comme Audrey, comme Yggdralivre, je regrette que tu spoiles le futur chapitre. Je préfère ne pas me poser la question de l'absence de Richard, je ne VEUX pas savoir à ce niveau pourquoi il n'est pas là et je t'en veux de m'obliger à échafauder des hypothèses. Mais bon, ce léger reproche ne pèse rien face au plaisir que j'ai à te lire.

nestor b a dit…

J'écoute en ce moment Eyeless in Gaza .. je ne sais pas et je ne veux pas savoir non plus ce qui est arrivé à Richard ! Superbe chapitre. Beaucoup de très belles images et plein de coups portés comme il faut au cœur du lecteur que je suis. J'attends, comme d'autres, la suite avec impatience, curiosité et angoisse. Putain mais Jimmy, l'indice que tu donnes, c'est quand même pas ce que je pense ? Me dis pas que c'est pas vrai ? En même temps si c'est ça, t'inquiète, on est nombreux ici, on peut se serrer les coudes, non Jimmy t'es pas tout seul, on peut créer un comité de soutien, je sais pas, un truc genre Brigade de Remise en Place des Détraqués, et tu pourrais changer la suite de l'histoire ! Et merde, mort aux cons, ça m'énerve tiens, t'as réussis ton coup mec !

Jimmy Jimi a dit…

Hello Zocalo,
J'espère bien que ce récit fait partie d'un ensemble et qu'un jour vous aurez l'occasion de vous diriger vers la caisse d'un libraire avec mon livre en main! Par contre, le CD me semble loin d'être essentiel, les chansons n'étant utilisées que pour leur titre.

Hi Nestor,
J'ai été obligé d'en passer par là, les histoires où tout fonctionne à merveille n'intéressent personne!

nestor b a dit…

Mais oui, d'ailleurs ça n'a pas le même intérêt si c'est pas flippant. Continue dans cette veine (mais fais pas comme avec la corde).

Arewenotmen? a dit…

Ainsi c'était donc çà... on vibre, on prend peur, on s'apprête à pleurer le sort de ce pauvre tambourine man...

Anonyme a dit…

La Fender VI est créée en 1961, et reprend le concept de la basse Danelectro à six cordes sortie en 1956, avec un accordage de mi à mi, une octave en dessous d'une guitare.

-L.V.A-


Anonyme a dit…

Sorry, mon com. est pour le post suivant.

L.V.A-