mardi 9 juin 2015

Pour la beauté du geste (feuilleton électrique) par Jimmy Jimi # 89


89. NO CHANCE [LOU REED]

   J'ignore pourquoi mais, partout, il semblerait que les gens doivent absolument se remettre de leurs émotions (sous peine de je ne sais quoi). Avec Olympia, nous fîmes tout ce qui était en notre pouvoir pour continuer à baigner dans les nôtres, et c'est avec délice que nous retrouvâmes cette chère villa pour la première répétition de la rentrée... Mais j'entends le lecteur qui s'impatiente toujours davantage : « Assez d'atermoiements et de digressions, il arrive quand, ce nouveau chanteur ? »

   Il nous fallut patienter encore cinq mois, mais il débarqua au moment où nous n'osions quasiment plus l'espérer. Richard était le voisin de la marraine de la meilleure amie de la nouvelle copine de Cyril – ou un machin dans ce goût-là ! Selon cette dernière, il chantait comme un jeune dieu (rien que ça). Dès qu'il entra dans la pièce, Isidore eut un geste de recul, puis il me souffla : « C'est quoi cet olibrius déguisé en Robin des Bois sportif ? » L'habit est sensé ne pas faire le moine, n'empêche qu'un chanteur en polo Lacoste vert – j'étais d'accord avec Isidore –, ça faisait plutôt mauvais genre !
   Chris lui demanda quels groupes il aimait en particulier. Le gars répondit benoîtement qu'il adorait les Beatles. Quand Polina lui proposa de pousser un peu plus loin, il nous avoua qu'il possédait également quelques disques de John Lennon et de Paul McCartney. Un temps, je crus qu'il voulait faire de l'humour mais, en vérité, il ne connaissait rien d'autre et, chaque fois que nous tenterons de lui faire écouter autre chose, il ânonnera toujours la même réponse : « Ouais, c'est pas trop mal, mais ça vaut pas les Beatles. » C'est une sorte de miracle qu'il ne soit pas parvenu à nous gâter le goût...
   Nous nous mîmes en place sans y croire une seule seconde. Je le revois encore, grand dadais timide, planté comme un piquet devant le micro et tenant maladroitement mon texte en main. Et puis, il ouvrit grand la bouche. Et puis, le monde bascula...
   A défaut de jeune dieu, « Robin des Bois » chantait comme un David Bowie en un peu plus « mâle ». Sans jamais donner l'impression de forcer (il paraissait même embarrassé d'avoir autant de talent), il atteignait les notes les plus hautes comme les plus profondes. Polina tomba amoureuse avant le premier refrain et, à la fin de la chanson, il me sembla que les frangins se retenaient d'aller lui baiser les pieds.
   Olympia lui demanda ce qu'il pensait des paroles. Il la regarda d'un air niais avant de répondre qu'il les trouvait : « sympas » (le pire des faux compliments). Ce fut la première et l'unique fois où il daigna en dire un mot (un seul !), et il ne fut jamais plus loquace en ce qui concerne la musique.

   Une petite voix intérieure m'accusa de jalousie. Je lui assénai un méchant coup de tambourin sur l'occiput et ne l'entendis plus moufter !

   Malgré les réticentes d'Olympia (que je fus sans doute le seul à sentir filtrer) et les grimaces d'Isidore, le gars fut enrôler sans l'ombre d'une concertation.

   Richard refusa poliment de passer la soirée en notre compagnie, comme il le fera toujours par la suite...

   « Nous tenons enfin notre chanteur, hurla Guillaume dès qu'il fut parti, nous allons enfin pouvoir décoller !
   – Décoller pour foncer droit dans le mur, lui répondit Isidore. Je pense que nous sommes tous d'accord pour admettre qu'il possède une voix merveilleuse, mais vous allez faire comment le jour où il voudra monter sur scène avec son polo vert ? Ce grand nigaud ne sait même pas que le vert est proscrit pas les artistes (comme par tous les gens de goût, soit dit en passant).
   – Il suffira juste d'instaurer un code de couleurs, imagina Polina, vu notre nombre, c'est une obligation si on veut pas ressembler au Big Bazar !
   – J'espère que vous avez également pensé à un code passionné de musique, très chère, parce que je suis certain qu'il ne possède pas vingt disques dans ce qu'on ne peut même pas appeler sa collection... Je ne comprends pas qu'il ne vous ai pas sauté aux yeux que ce type ne vous ressemble pas et qu'il n'est pas fait pour la bande.
   – Toi non plus, tu nous ressembles pas : tu vouvoies tout le monde, tu portes des costards trois pièces, tu préfères le jazz et le classique au rock et, pourtant, tu fais parti de la bande et on t'adore tous ! Richard a l'air timide, c'est sa première expérience en groupe, tu pourrais peut-être lui laisser une chance avant de le juger. »


   Une chance ? Aujourd'hui, le mot résonne comme le cri d'une petite fille mangée par un incendie... 


14 commentaires:

Audrey a dit…

C'est un chapitre qui, pour une fois, est très narratif, comme si tu avais tout fait pour retarder l'échéance. Et tu t'en tires très bien.
Par contre, le titre de Lou Reed donne une drôle de dimension à tout ça.

Jimmy Jimi a dit…

Oui, j'ai beaucoup tourné autour du sujet pour être très narratif d'un coup histoire de relancer la machine, mais sans trop en dire pour autant.
j'ai hésité pour le titre, j'ai choisi de garder l'idée de la fin: c'est celui qui donnera le ton à la suite, même lentement.

DamNed a dit…


Marrant, ce Richard des bois (sympa, c'est déjà pris). Il peut encore tout arriver dans cette configuration, belle ouverture, Jimmy !

Jimmy Jimi a dit…

Le sympa, c'est du vécu. Quand tu présentes ce que tu as fait, je crois que je préfère encore quelqu'un qui me dit qu'il déteste!

Everett W. Gilles a dit…

Yo !
Le rapport entre une belle voix et un bon chanteur est le même qu'entre savoir parler anglais et peler les patates (dans les Bidasses en Folie, à chacun sa culture...)
Bon, je tenais juste à la placer celle-là.
A toi de jouer grand dadais lacostifié de vert, surprends-nous !

Jimmy Jimi a dit…

Les Charlots (qui s’appelaient encore Les problèmes) furent les seuls à oser une reprise de "Satisfaction" alors qu'ils faisaient la première partie des Stones (lesquels mirent plusieurs jours à s'en apercevoir)!

Everett W. Gilles a dit…

Les Charlots osaient c'est indéniable !
Je suis bien trop jeune (hem...) pour les avoir vus sur scène mais j'ai vu Luis Rego en spectacle avec notamment un sketch sur les avantages de la guitare électrique par rapport à l'acoustique, électricité qui nous ramène à nos moutons !

Anonyme a dit…

le dadais qui adooooooooooooooooooooooooooore les beatles... qui ne connaît rien à rien et que tout le monde adore parce q... ça me fait penser aux grand brun ténébreux de boulet (et c'est un compliment)...
après autant d'attente tu t'en sors plus qu'honorablement (c'est "sympa" ^^)
pour moi reste surtout "
Une chance ? Aujourd'hui, le mot résonne comme le cri d'une petite fille mangée par un incendie... "

qui fait plaisir à lire !!!!
vraiment ça claque comme un étendard ça !

nestor b a dit…

"Richard était le voisin de la marraine de la meilleure amie de la nouvelle copine de Cyril" ... ah mais ok, je connais ce mec (mon cousin a bossé avec la tante du gars qui vend du cidre au marché de Plougastel et qui justement flirte avec la marraine dont tu parles, alors tu vois le monde est petit).
Non, pas d'inquiétude, il est super ('sympa'), on ne m'en a dit que du bien.
Et puis surtout, ne pas se fier au polo, en plus si ça se trouve c'est un faux que son oncle lui a rapporté de Gambie.
Et puis s'il avait eu des franges sous les bras, on aurait imaginé Robert ou Roger (*), alors que Richard ça laisse perplexe.
Et puis, et puis ... ben merci pour cet épisode, et puis vive les Stones (il connait les Stones Richard ?)

* Plant ou Daltrey (vous aviez deviné)

DevantF a dit…

ça se met en place et cela prend de l'épaisseur. Le groupe existe sous mes yeux, j’imagine la naissance d'un Talking Heads moins la morgue NY (mortel) l'apport d'instrument qui sonne Europe, une modestie pleine d'enthousiasme. Et l'auteur qui évite que le chanteur ne vampirise le groupe par son charisme, déjà jaloux l'auteur? Hein? Ou bien il prépare un ...

Arewenotmen? a dit…

La menace plane cependant....

Jimmy Jimi a dit…

Hello Yggdralivre,
De temps en temps, j'ai des fulgurances (cela dit en toute modestie)!

Hi Nestor,
Grand prix du commentaire marrant du mois!

Hola Devant,
Tu entends ce qui te fais plaisir, mais ça devrait davantage ressembler au premier Tindersticks avec des nerfs. Le narrateur est peut-être jaloux, mais surtout gêné.

Hello Arewenotmen?
Et comment!

DevantF a dit…

.. ha oui, il me faudra profiter de ta réponse qui revient pour me faire les Tinder que j'adore...

Keith Michards a dit…

Ouh la la ! Ça bouge ! J'ai hâte de connaître la suite.