lundi 3 novembre 2014

Pour la beauté du geste (feuilleton électrique) par Jimmy Jimi # 73


73. FAREWELL AGAIN (ANOTHER DAWN) [Kevin Ayers]

   Lors de l'ultime soirée à la Frog Legs', tous les records de roulages de patins furent pulvérisés ; dès la première série de slows, on dansait déjà avec de la bave d'amour jusqu'aux mollets ! Vous n'avez jamais vu autant de gamins se galocher au milieu des larmes. La situation était particulièrement tragique pour les petits couples qui ne vivaient pas dans le même pays (Audrey et Everett) ou la même région (Emilie et Isidore). Ils se promettaient de s'écrire chaque jour sans se soucier de pouvoir jurer de la longueur de leur vœu car le temps est assassin comme l'on sait... Les rares spécimens qui n'avaient pas une langue enamourée s'enroulant autour de leur appendice en émoi se remémoraient les meilleurs moments du séjour. Je flottais, presque hagard, au-dessus de ces dernières heures de déluge – perdu dans une nostalgie précoce. Parfois, je buvais la tasse, avalant le souffle d'un baiser par-là, gobant un souvenir par-ci. Le D.J. montait sans cesse le volume pour tenter de se faire entendre malgré l'assourdissant et merveilleux vacarme adolescent. C'est que ça en faisait du boucan tant de mômes renversant leur cœur dans le même sablier. Jagger, Iggy ou Bowie pouvaient bien s'égosiller ; pour une fois, ils n'étaient pas de taille à lutter contre cette horde rebelle en plein trauma amoureux – chacun désirant écrire sa propre romance sur la toile électrique.
   Soudain, tout fit silence devant le visage d'Amy. Elle se donnait treize ans, mais on aurait encore dit une enfant avec ses superbes gros yeux de poupée mélancolique. Elle profitait que son petit chéri soit allé chercher des Coca pour crever le sac de larmes qu'elle essayait de garder fermé depuis des heures. Elle ressemblait à un mystère, le même qui me faisait aimer l'Angleterre à un point déraisonnable, et dont le talent me manque pour l'exprimer convenablement – à moins que ce genre de passion demande à être conservé sous un voile secret... Son chagrin mangeait la moitié de ses mots, mais je n'avais pas besoin des paroles pour entendre la musique, comme il est inutile de comprendre l'anglais pour s'émouvoir devant la plupart de nos chansons favorites (je crois même que je préférais l'époque où j'ignorais tout du texte : les voix n'étaient alors qu'un immense flot magique qui ne parlait qu'au cœur).

   Évidemment, il pleuvait des cordes lorsque nous regagnâmes la rue. Le ciel sait ce qu'il a à faire. J'embrassai mes amis sans leur dire ni au revoir ni adieu.

   Seul au milieu de la nuit, je relevai mon col, fumai trois cigarettes d’affilée, sifflotait un refrain quelconque pour me donner un semblant de courage, et fis trois fois le tour du pâté de maisons avant d'aller inonder mes draps.


10 commentaires:

DevantF a dit…

Dire que ado, je n'aimais pas les scènes qui se traînent, alors que maintenant j'aime au contraire que l'on s'attarde de longs moments sur un lieu, des gens, que la minute soit racontée de plusieurs points de vue afin de repousser le plus longtemps possible le passage à la page qui tourne.
C'est dur, hein? De quitter l'Angleterre de ton roman.

Jimmy Jimi a dit…

Je me demande si je ne me suis pas trop attardé par rapport à ce que j'avais à raconter et, surtout, si j'ai suffisamment bien traduit ce que j'ai ressenti alors...

Keith Michards a dit…

Snif !!!!! J'ai de la pluie dans les yeux !

Jimmy Jimi a dit…

ça ne m'étonne pas, c'était le chapitre hard rocoeur!

DevantF a dit…

Je ne sais pas, mais il y avait cette ambiance de fin de fête, non, pire, une fête qui continue sans "toi", qui se passe de "toi". Une mélancolie plus forte quand on se sent seul à la vivre...

Audrey a dit…

Je trouve qu'au niveau style tu t'es surpassé. Ce mélange d'image, de trivialité et de poésie est tout à fait étonnant. Un petit bravo pour ne pas troubler les cœurs chagrin de ton histoire et un grand bravo pour les autres.

Arewenotmen? a dit…

Ce que çà me parle, moi qui a seize ans quitta à Maidstone une jolie Auvergnate avec qui je correspondis et revis une fois chez elle, sans jamais même oser l'embrasser... et puis le temps en effet et puis les autres... oui Jimmy, tu as très bien traduit ces moments marquants !

Everett W. Gilles a dit…

Moi je dis qu'il est temps de virer les gonzesses et de laisser parler l'électricité.
De toute façon j'ai jamais rien compris aux gonzesses.
PS : Audrey tu peux toujours courir pour que je t'écrive.

Sadaya a dit…

Après la pluie, le soleil? Séchons toutes ces larmes et allons de l'avant! So, Jimmy, you always go, where do you go?

Jimmy Jimi a dit…

Hello Audrey,
Merci pour tous ces beaux compliments, j'espère continuer de m'en montrer digne!

Hi Arewenotmen?
Merci, ce fut souvent compliqué, je traîne tout ce formidable fourbi depuis si longtemps...

Hola Everett,
Gonzesses et électricité, moi, je trouve que ça fonctionne bien ensemble.

Hello Sadaya,
Je suis plutôt un homme de pluie, il y en aura donc davantage que de soleil sans que ce dernier ne soit oublié. Tu seras surprise de voir où je vais - surtout à la toute fin...