jeudi 11 juin 2015

CLAUDE DEBUSSY ~ Pelléas et Mélisande (solistes, Wiener Philharmoniker, dir. Claudio Abbado) [1992]


Cherchant son chemin, le prince Golaud a trouvé, perdue dans la forêt, Mélisande en pleurs au bord d’une fontaine. Il a épousé cette femme énigmatique - on ne sait "ni son âge, ni qui elle est, ni d’où elle vient" - et il l’a amenée en Allemonde, royaume de son grand-père, Arkel. Pelléas, le demi frère de Golaud, va découvrir l’amour avec Mélisande. Ils y perdront la vie. Torturé par la jalousie, Golaud assassine Pelléas. Mélisande s’éteint après avoir donné naissance à une fille…


Mélisande, emperruquée et entreprenante, plaquée et pratiquement violée par son mari contre une Jaguar, animal sombre rodant sur le plateau; Golaud, le mari, emmenant Pelléas, l’amant, en virée nocturne et le poussant à la débauche… il n’en fallait pas davantage pour déclencher des huées à l’apparition du metteur en scène, Christophe Honoré (le cinéaste) à l’issue de plus de trois heures d’une représentation de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy à l’Opéra de Lyon, vécue dans la perplexité d’abord, l’agacement ensuite, une émotion poignante enfin.















"Il est midi, j'entends sonner les cloches et les enfants descendent vers la plage pour se baigner. Tiens, voilà notre mère et Mélisande à une fenêtre de la tour" : sur la scène, nulle tour, nulle plage, pas de cris joyeux d’enfants, mais une rue triste plongée dans la nuit. Le royaume d’Allemonde, celui des forêts profondes et des eaux mouvantes ? Réduit à un décor urbain muré, cloisonné. Et au fond qu’importe ? Ou plutôt, tant mieux ! Car une représentation fidèle au livret symboliste du poète Maeterlinck confinerait aujourd’hui au ridicule (époque médiévale en carton-pâte où vous imaginez Mélisande, telle une Raiponce des temps anciens, penchée à la fenêtre de sa tour et déroulant sa chevelure jusqu’au sol pour que son amant puisse s’y envelopper ?). Et la stylisation élégante (à tendance kitsch distingué avec Bob Wilson) et elliptique souvent de mise à notre époque ne fait que fuir, éluder, masquer. Tant mieux donc si les libertés prises avec le texte nous donnent mieux à voir ce qui se joue : un drame sanglant dans un monde glacé. Ce réalisme brutal forge des images qui cognent la rétine, forcent l’entrée de la conscience pour mieux s’y incruster.


"Je ne pourrai plus sortir de cette forêt ! Dieu sait jusqu'où cette bête m'a mené. Je croyais cependant l'avoir blessée à mort; et voici des traces de sang ! Mais maintenant, je l'ai perdue de vue; je crois que je me suis perdu moi-même…" Je vous laisse pénétrer dans cette forêt enchantée bien que menaçante, dans ces eaux noires et insondables…
AREWENOTMEN? (Merci d'avance pour vos commentaires !) 

MP3 (320 kbps) + artwork & livret


14 commentaires:

Jimmy Jimi a dit…

Un post "à risques", mais c'est aussi ça l'esprit "Bruits magiques"! Moi, je dis que ça se tente, surtout que d'avoir choisi une Jaguar, c'est quand même faire preuve de bon goût!

Anonyme a dit…

au-delà de l'adaptation et de la mise en scène, le choix de l'oeuvre et le choix de l'interprétation sont à la hauteur !
des moments magiques (pour le coup) pour une oeuvre envoûtante.
à réécouter avec passion, à découvrir avec ivresse rien de moins

Sorgual a dit…

Jamais osé, et là c'est l occasion rêvée; MERCI.

Arewenotmen? a dit…

Vous êtes au moins trois déjà intéressé et ça suffit déjà à mon bonheur. Pour ceux qui découvrent, j'espère qu'il sera partagé. Votre retour d'écoute m'intéresse fortement.

Ernesto Violin a dit…

J'aime beaucoup les pièces instrumentales de Debussy au piano et le Faune, mais jamais eu encore le courage de me lancer dans Pelléas, moi non plus. On dirait que c'est l'occasion, en effet ! Merci pour cette version (Abbado !) avec le livret, je suis impatient d'écouter.

Jimmy Jimi a dit…

Je ne veux pas bâcler, je vais m'y atteler tranquillement ce week-end.

sorgual a dit…

J'ai calé, je m attendais trop à entendre la musique du maître et pas assez à écouter un opéra, suivre une histoire, et puis le chant en français a du mal à passer. Mérite une réécoute l'esprit plus libre et averti.

DevantF a dit…

... et je suis particulièrement amoureux de cet opéra et de la version Abbado. La déclaration d'amour "Je l'ai trouvé, je l'ai trouvé..." Act4, "On dirait que..." je l'ai parfois mimé avec Catherine tellement elle était expressive, et et et quand elle répond "... c'est que je te regarde"...
Par contre sur le "dépoussiérage" des oeuvres pour proposer d'autres mises en scène plus moderne, tant pis, je vais faire le vieux con: éloigner l'ensemble pour tendre vers le symbolisme, pourquoi pas, risqué mais cela a été payant.
Par contre, quitter les lieux oniriques au profit d'un espace contemporain??!! Sur la chronique je n'arrive pas à voir quel option a été prise: Sur la capot de la voiture?
J'opte pour qu'il y ait création, faites un "West Side Story" avec les ingrédients mais lancez vous et touchez pas trop à l'équilibre de l'ensemble.
Tiens, en parlant de médiéval, non, un onirisme de monde parallèle, abandonnez "Trone de fer" faîtes "La trilogie de Gormenghast" pour retrouver un lieu, un monde, un univers où aurait pu se dérouler Pelléas. Pelléas appartient à cet univers. Un peu comme le "Barbe Bleue" de Bartok, il y a aussi ce mélange subtile de cauchemar masqué par les attributs du rêve. Supprimer cet aspect irréel c'est certes dévoiler la noirceur qui s'y tapit ...
Je m'emprte, je m'emporte, mais je ne sais pas exactement quelle liberté a été prise; Juste que ça me passionne

Arewenotmen? a dit…

Prenez votre temps en effet messieurs, ca en vaut la peine. L'écoute nocturne, ou du moins dans un environnement calme, est conseillée...

Arewenotmen? a dit…

Mon Cher Devant je me suis toujours imaginé Mélisande s'être échappée des griffes de Barbe Bleue (Bartok, magnifique). La Mélisande que j'ai vu a Lyon a un air de famille avec la Marie de "Wozzeck", voire avec Lulu (Berg, sublimes). On peut évidemment ne pas apprécier, mais la proposition Honoré a le mérite d'en être une et pertinente a mon avis.

DevantF a dit…

Allez je me lance et je ne veux pas faire intello, juste un ressenti sincère: liberté avec le texte? OUI j'approuve, mais il ne faut pas être timide et pousser jusqu'à même la musique et l'intrigue. À force tu finis par penser que la contrainte devient musicale
Avec mon fiston nous nous étions vu le FREISCHUTZ de Weber. Sa scène des balles forgées par le Diable dans la forêt profonde. La mise en scène a proposé un décor plein de téléviseur et je ne sais plus quoi.
quand tu dis
"un drame sanglant dans un monde glacé. Ce réalisme brutal forge des images qui cognent la rétine, forcent l’entrée de la conscience pour mieux s’y incruster."
Alors Debussy n'a rien compris, car sa musique propose autre chose. On peut faire dans le conceptuel et dire que justement le détachement musical de l'horreur de l'histoire est un avantage bla bla bla...
En fait je rebondis sur la frustration des chefs d'orchestre qui trouvent que le metteur en scène est trop influent.
Et qu'il y a clairement un manque de création, au point d'utiliser des références fortes et modernes, comme le nazisme, le banditisme, l'anarchie dans des opéras qui n'en demandaient pas tant.
Quand je te disais que ça me passionne!!

Arewenotmen? a dit…

@Sorgual
Ca ne me semble pas une mauvaise manière pour découvrir cette oeuvre que de se laisser d"abord porter par sa splendeur orchestrale avant d'entrer dans la dimension opératique a proprement parler.

Arewenotmen? a dit…

@Devant
L'opéra est susceptible en effet de susciter une telle passion.... Je me souviens par exemple d'un "Lady Macbeth de Mzensk" de Chostakovitch (autre chef d'oeuvre) a la Bastille qui m'avait électrisé

Arewenotmen? a dit…

@Sorgual, l'opéra est en effet capable de susciter une telle passion, de nous emmener vers de tels sommets d'émotion...