90.
ONE
MORE CHANCE
[NICO]
Richard
arrivait toujours le dernier aux répétitions – et dans des tenues
aussi flamboyantes qu'au premier jour : il ne nous épargna rien, ni
les gilets aux motifs jacquard ni les biens
nommés mocassins à glands ! Non seulement, il trouvait toujours
mieux à faire que de passer ses soirées avec nous, mais il allait
se réfugier
entre
les bras de sa copine dès
que nous
faisions une pause. Nous ne l'avons jamais entendu émettre le
moindre avis et lorsque l'un d'entre nous soumettait une suggestion
sur son chant, il se contentait du même : « D'ac', je vais essayer.
» C'était alors la mode des boîtes à rythmes,
Mizanu,
lui, possédait une
boîte à voix. Elle
se mettait en branle au premier coup de cymbale et s'arrêtait net à
dix-neuf heures, même si nous étions au beau milieu d'une chanson.
J'ai
toujours eu une vision très romantique du groupe – genre : « à
la vie à la mort, un pour tous et tous pour un », au point que je
pense qu'un groupe devrait changer de nom lorsqu'il perd un de ses
membres. Même avec un chausse pied, Richard ne serait jamais entré
dans cette vision. Les
Trois Mousquetaires étaient quatre, ce qui est toujours bon pour
l'effet de surprise ; de notre côté, nous ressemblions à une
équipe de football s'apprêtant
à
entrer sur la pelouse sans gardien de but ! Je
m'éclatais chaque fois davantage avec ma collection de percussions,
mais ce type, malgré
sa voix de velours,
me ramenait
sans
cesse vers
l'odeur
de mon grand rêve calciné...
A
force de répéter sans chanteur, nous étions plus qu'en place, et –
il faut bien lui reconnaître
quelque qualité
–, Richard ne mis pas plus de deux ou trois répétitions pour se
mettre au diapason. Sa gestuelle était inexistante, il possédait
autant de charisme qu'un hérisson écrasé sur une autoroute mais,
vocalement, il était irréprochable.
Forcément,
le
parfum capiteux
des
planches sacrées
commença
sérieusement à nous monter au cerveau, le
mot concert était de toutes les discussions, et même Richard
semblait frémir en l'entendant.
Las, l'heure des révisions du
Bac
de français sonna
que notre dadais
ne
parvenait toujours pas à retenir les paroles de huit « malheureuses
» chansons.
Sans
mes feuillets, on aurait dit un
« poussin
cherchant son omelette » ! Isidore
en profita pour revenir à la charge et réclamer l'éviction
du
bafouilleur,
mais mes amis kamikazes ne sentaient pas le vent tourner, la voix de
l'étrange petite sirène les avait expédiée dans
l'engourdissement, et ils pleurnichèrent pour une nouvelle chance ;
l'oisillon
finirait bien par tomber de son nid avec mes paroles dans le bec.
Pour
la première fois depuis la sixième, la bande avait été séparée
: nous aurions peut-être du y voir le début d'un signe, mais je
n'ai jamais su quoi en faire quand j'ai pu en apercevoir un...
Isidore
craignait que Richard
nous
conduise dans le mur et moi qu'il nous emmure vivant... Crois-t-on
vraiment que tout peut s'arranger comme par enchantement ou est-on
seulement lâche ? J'avais honte que le nigaud
fasse
soit disant parti du groupe, honte
qu'il
chante mes textes, honte
que mes amis puissent se satisfaire d'une boîte à voix et, surtout,
honte de mon silence, mais
j'avais
peur de passer pour le méchant jaloux, l'empêcheur de jouer en
rond...
22 commentaires:
J'ai vraiment bien aimé ce chapitre. J'ignore pourquoi, mais il y a dans ce chapitre un sentiment authentiquement desabusé comme si derrière la fiction on touchait au vécu personnel. Le ton est vraiment différent des autres. Peu d'embardées stylistiques fulgurantes, peu d'évènements. Mais un ton froid, lucide et amer, finalement aussi beau et tragique de résignation qu'un rêve brisé. Comme si on ne pouvait infiniment se cacher ou se mentir. Et en même temps, ça fait froid dans le dos...
Non, il n'y a pas exactement de vécu personnel mais, quand j'écris, je vois un film se dérouler dans ma tête aussi clairement que si j'étais au cinéma, ça m'aide à rentrer dans les personnages! Nous ne sommes pas dans la résignation, plutôt dans une peur terrible, celle qu'une immense amitié se voit briser par un intrus au formes disproportionnées...
Super chapitre, merci !
Moi j'y crois à ce Richard. Une intuition...
Et puis des murs il faut s'en manger avant d'être un groupe de rock.
Bravo pour l'ambiance et le suspens que tu crées.
Hi Nestor,
Merci pour ton soutien, je fais mon possible!
Il me gonfle ce Richard, je ne sais pas pourquoi non plus... ce qui n'a rien à voir avec mon intérêt pour le feuilleton !
Au fait, la photo d'illustration de la semaine dernière... j'ai rien compris !
Hola Arewenotmen?,
Tant mieux s'il t'énerve, je fais tout pour!
C'était juste un pied de micro... Je ne peux pas mettre des beautés à chaque chapitre, on va m'accuser de racolage!
Je préfère quand même les jolies femmes, quite à passer pour un je-ne-sais-quoi !
Moi aussi, mais j'essaye quand même de coller avec mon chapitre!
un bel ampli Fender alors ?
Décidément, l'affaire a du mal à se mettre en place.
Est-ce que les Beatles ont connu les même soucis ?!?
Ici, j'ai choisi une guitare démantibulée pour coller au moral du narrateur.
Hello Keith,
Je pense que tu connais l'histoire des Fab Four aussi bien que moi. N'empêche qu'ils ont connu des problèmes de bassistes et de batteurs...
Yo !
La particularité des groupes, musicaux ou autres comme équipe de sports co par exemple, c'est qu'on peut cohabiter avec des abrutis et finir par leur découvrir des qualités, surtout si on est d'accord sur l'objectif prioritaire.
Voilà, c'était juste pour faire un commentaire sérieux, je crois bien que c'est une première ...
... après, s'il te les brise un peu trop le mec, tu le vires et on n'en parle plus !
Oui mais, après, j'ai plus d'histoire!
ce que j'ai bien aimé dans ce chapitre c'est que derrière l'avis.le ressenti du narrateur que l'on sent conscient de voir un rêve romantique (je le dis vite) se briser, c'est le début du temps des compromis, des acceptations, des visions divergentes...
au départ quand on écoute de la musique on adore les groupes, on croit à l'image des posters, aux articles laudatifs à une certaine émulation fraternelle...
ensuite l'enfer du décor nous fait froid dans le dos...
là, de l'intérieur on peut s'imaginer les premières fissures
"Enfer du décor" ... Excellent jeu de mot !
Et oui les posters, ça laisse imaginer des choses complètement dingues, par exemple que le groupe est venu te voir spécialement toi dans ta petite chambre d'ado. Dans la mienne y'avait le Velvet qui tirait la tronche mais quand même, et puis Led Zep sur scène, au pied de mon lit, tous les soirs en concert rien que pour moi c'était le pied !
Hello Yggdralivre,
En fait, jusque là, l'existence du narrateur s'est passée à merveille (ou presque): des tonnes de disques lui sont tombés dessus sans qu'il n'est rien demandé, il s'est dégoté une chouette bande de potes, mais les choses sont en train de basculer et il se sent seul au milieu de ce qui pourrait basculer vers le naufrage... Ce n'est pas simple!
Hi Nestor,
Je vois bien de quoi tu parles, dans ma chambre d'ado, j'avais entièrement recouvert le papier peint, une partie des meubles et même un bout de plafond!
Hier, J'avais juste eu le temps de lire les commentaires qui déjà à eux seuls donner envie de comprendre le phénomène. Je pense que quelque chose se passe. Une naissance. Je vois, au première loge, s'édifier un roman. Je fais appel à mes souvenirs des épisodes précédents et forcément je donnerai bien un avis de reconstruction. Mais tu connais l'histoire du romancier Martin et son Trône de Fer, trop de lecteurs se mêlaient de lui dire comment continuer son histoire au point qu'il pensait laisser tomber. Je ne prendrai pas ce risque. N'empêche tu tiens une forte trame: Intro, rencontre, Angleterre, naissance du groupe ... à suivre comme dirait l'autre
hi Jimmy,
Je me suis bien marré. Il faut ab-so-lu-ment que je fasse de ton feuilleton un de mes rdv hebdomadaires obligatoires ! De belles images comme "le charisme du hérisson écrasé" et des références indiscutables "du poussin cherchant son omelette" Bravo
Bises corses
Hello Devant,
J'ai essayé de travailler sur la mémoire commune avec la collection de disques, le jukebox etc, mais en impliquant un personnage et, de chapitre en chapitre, je tente de resserrer le discours. Tout le monde peut s'y retrouver, mais ce n'est pas un livre de souvenir, plutôt un conte électrique. Et j'espère que tu n'es pas au bout de tes surprises.
Hi Rooster,
J'aurais donc mis 90 chapitres pour t'attirer dans mes filets! S'il te venait l'envie (ce n'est pas une obligation, évidemment) de te remettre à niveau, je peux t'envoyer la chose depuis le début...
J'ai eu un flash... Si un dessinateur pouvait lire cette histoire, comme je la sens en BD ... Ho Oui.
En B.D. peut-être pas, mais je ne serais pas contre quelques illustrations, ça tombe bien, le guitariste avec lequel je jouais est également peintre!
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