lundi 2 novembre 2015

Pour la beauté du geste (feuilleton électrique) par Jimmy Jimi # 97


97. FOR THE FIRST TIME [ROD STEWART]

   Mon petit cœur ne cognait pas comme jamais, Olympia aurait du le savoir puisque c'est devant elle, un après-midi particulièrement pluvieux où elle dégrafa son soutien gorge pour la première fois face à mes yeux ébahis, que mon palpitant pulvérisa le record mondial de pulsations par minute ! (Ne comptez pas sur moi, chères demoiselles, pour vous expliquer, ici, pourquoi les garçons sont tellement passionnés par ce qui s'agite sous vos fines dentelles (au point que l'un d'entre eux fut bouleversé par une robe presque trop décolletée, alors qu'il s'apprêtait pourtant à monter sur scène pour son premier concert) : d'abord, j'ai un chapitre crucial à écrire et, ensuite, personne n'en sait absolument rien – et c'est justement ce qui rend l'affaire tellement merveilleuse et troublante !)

   Mon amoureuse me mordit les lèvres dans un baiser sauvage avant de me glisser à l'oreille : « Tu vas être génial, je t'aime », puis Isidore me poussa sur le plancher magique la lumière me brûla. Il faut l'écrire pour ceux qui n'ont jamais connu le bonheur d'y poser un pied : là haut, tout là haut (même si la scène du Gibus s'élevait à moins de deux mètres du sol réservé au commun des mortels), on ne voit rien ; il n'y a de place que pour l’ouïe, la musique se doit de tout manger...

   Nous nous installâmes le plus tranquillement possible, comme nous en avions convenu.

   La foule était frémissante. Guillaume toussa un peu puis frappa trois fois avec ses baguettes et les fauves affamés furent enfin lâchés dans l'arène sacrée ! Pour éviter qu'un spectateur ait la malencontreuse ie de retourner vers le bar ou la sortie, il avait été cidé d'attaquer par Quelqu'un ?, notre titre le plus explosif, lequel – vous jugerez de l'audace ! commeait directement par le refrain (qui devait sonner comme une demande d'adoption à destination du public) : « Y a t-il quelqu'un, y a t-il quelqu'un / Pour me mettre au monde ? / Y a t-il quelqu'un, y a t-il quelqu'un / Pour ouvrir le ciel sous mes pas ? » Ce que nous ignorions, c'est que la tension vous oblige à jouer plus fort et plus vite qu'à l'habitude. Le groupe y perdait peut-être un peu en originalité, mais y gagnait franchement en énergie (j'ai encore les « quelqu'un » du final, balans en ad libitum furieux sous un déluge de décibels, qui reviennent me chauffer les oreilles pendant que je vous confesse ces quelques lignes). Richard, un peu timide jusqu'au premier couplet, se mit ensuite à la hauteur de l’événement en devenant magnifiquement incontrôlable. Sa gestuelle demeurait empruntée, mais sa voix faisait des ravages : à chaque « quelqu'un », on entendait le corps gracile d'une quelqu'une s'expédiant dans les vapes après avoir laissé échapper un dernier soupir languide !
   A la moitde la chanson, mes mains sentaient déle brûcomme si je venais de caresser les aréoles d'Olympia pendant toute une nuit ! Jamais, je n'avais autant aimé mon tambourin ; jamais, je n'aurais imaginé pouvoir l'aimer autant... (Sous les points de suspension, si vous prenez le temps d'y regarder, vous trouverez l'ombre fanée de mes anciennes désillusions.)
   J'aimerais pouvoir vous offrir le dessin de chacun de mes camarades, mais la tête dans le guidon et le corps sous l'orage, je n'eus pas vraiment le temps de capturer des instantanés ou de prendre des notes. Parlons-en du temps : il se rattrape de ses lenteurs peintes au chapitre précédent, la vie va si vite qu'elle semble ne plus exister – normal, la musique l'a remplacée en bouleversant les unités de mesure ; le vieux monde d'hier où l'on n'était que simple passant n'existe plus, on entre dans une dimension qui tient autant du sexuel que du mystique ! En répétition, il est facile de distinguer une guitare d'une trompette, aisé de différencier un couplet d'un refrain mais, une fois sous les feux, tout n'est plus que sublime orgie électrique. On n'est plus fan de musique ni même musicien : on devient musique, comme un astronome ou un poète qui cesseraient d'admirer les étoiles pour devenir l'une d'elle (et, en vérité, la qualité du groupe intervient peu dans le processus surnaturel – seule la passion importe). On dit souvent qu'une chanson peut raconter une histoire aussi bien qu'un lourd pavé, je n'en suis pas du tout persuadé et ça n'a guère d'importance puisque l'essentiel est ailleurs : c'est tout ce que cela suggère de fantasmes chez ceux qui sont sur scène comme devant ladite. Il faut être bien naïf pour croire qu'une note (un mot) n'est qu'une note (un mot) ou qu'une simple goutte de sueur n'est rien d'autre qu'une simple goutte de sueur.

   Et puis, le groupe se mit à jouir de concert après une dernière envolée. Le public (je l'avais presque oublié, celui-là !) hurla à la vie (ça change un peu de l'autre) tout en essayant de se fracturer les mains ! Un million d'années auparavant, nous nous étions rencontrés sur les bancs de l'école avec des rêves plus grands que nature. L'image me traversa l'esprit l'espace d'une seconde... C'est presque impossible de peser sa jouissance dans l'instant. Polina se retourna pour m'offrir un geste de la main de deux cent cinquante kilos. Richard osa un très beau : « Merci ».


20 commentaires:

Anonyme a dit…

bon...
pour dire à quel point j'ai aimé (et parce que sans liberté de blâmer etc, comme disait ce bon vieux Fifi), je vais me permettre une petite remarque...
j'ai tellement apprécié ce passage, ce mélange de sexe et de concert, tout à la fois en retenu (car ça parle cru mais ça esquisse plus que ça ne renverse sur la table) et en sauvagerie (car ça mord les lèvres et ça titille le téton plutôt que ça ne voit au loin... faut pas déconner tout de même)...
le propos entre ironie (au début) tension et soulagement (parce qu'il y a parallèle entre les deux moments intense, mais surtout comparaison parce que si tu n'avais pas connu ta belle tu ne pourrais pas comparer... logique) apporte ce qui fait le plaisir du moment : le style.
il faut bien l'admettre tout est dans le ton (le moment n'étant pas original, mais on s'en fout... sisi, puisque tout est dans le ton).

bref... pourquoi... pourquoi... pourquoi
"mais la tête dans le guidon "
une fucking image cycliste...

c'est décidé... je boude !

...
jusqu'à la prochaine fois :)

Audrey a dit…

Lattente fut longue et à son comble... Enfin, tu nous laches le morceau! Généralement, quand on joue ainsi avec le lecteur, il se forme des attentes importantes. Alors, les as-tu comblé? Suspense... A ton tour d'attendre...

Je trouve que tu as très bien retsranscris l'émotion de cette scène, sans pour autant d'éterniser dessus. Et c'est d'autant plus redoutable et réaliste que si tu avais analysé pendant des pages entières ce qui se passe sur scène. Je n'y suis jamais montée, mais tes mots me l'ont très bien fait vivre. Plus que l'émotion d'ailleurs, tu transcris l'étrange alchimie qui s'y opère. Et tu as encore plus raison quand tu évoques la relativité des mots, des notes, avec ce qui se vit.
J'avais craint un moment que tu donnes une direction très différente en nous montrant au contraire un échec, avec tout ce qu'il aurait pu y avoir de sordide, de déception et de frustration. Mais le fait que tu mettes en scène l'ivresse de la scène ne fait que rendre plus belle la passion de cette musqiue que nous partageons tous.Le rock n'est peut-être pas la belle et grandiose des musiques, mais c'est certainement dans ces instants que tu décris qu'elle atteint quelque chose de si unique.

Un grand bravo à toi pour ce chapitre (si longtemps attendu). Pour répondre à ma question du début, je pense que tu as répondu et dépassé mes attentes justement en y répondant pas. On va dire, mis à part le laïus sur le soutien gorge, tu as fait un sans faute (et encore, je plaisante).

Jimmy Jimi a dit…

Hello Yggdralivre,
Merci pour tes compliments. Comme disait Louis-Ferdinand Céline, des histoires, il y en a partout, c'est donc le style qui demeure le plus important. J'essaye d'y travailler.
J'ai beaucoup hésité à propos du guidon mais comme, après les rockers, les cyclistes sont ceux qui se droguent le plus, j'ai pensé qu'ils avaient le droit à un clin d'oeil!

Hi Audrey,
L'important, ici, était de ne pas vous offrir exactement ce que vous attendiez. Donc, une seule chanson (la suite viendra) plutôt que le concert entier. Cela aurait été trop facile, aussi, de donner tout de suite le sordide, la déception, la frustration: il faut encore laisser monter pour que quand ça explose, ça explose vraiment. J’effleure un peu le suspens, mais pas vraiment.
Merci à toi aussi pour les compliments, ça m'aide à avancer et j'en ai besoin car il reste encore beaucoup de boulot.

Everett W. Gilles a dit…

Yo !
D'abord Céline s'il avait toujours raison ce serait bien le seul.
Ouais pour moi l'histoire reste le plus important, ce qui ne réduit pas l'importance du style à zéro on est bien d'accord. Tu l'auras sûrement remarqué parce que tu remarques tout (moi je viens à peine de le faire...), tous mes commentaires concernent les évènements relatés et jamais la façon dont tu les relates, je te jure que si je m'emmerdais à te lire je ne m'emmerderais pas à commenter.
Ceci posé je sais plus ce que je voulais dire ... ah oui, c'est ça : toute activité basée sur ce truc qu'on appelle adrénaline a pour particularité de nous faire perdre la notion de plein de trucs importants en temps normal, à commencer par le temps, la présence de l'autre (enfin des fois c'est pour ça qu'on est là hein!), etc...
Le concert , le PREMIER concert, comment pourrait-il échapper à cette règle ?

nestor b a dit…

Magnifique !

J'adore ce moment, 'tin je me disais, j'y suis pas au concert (je me disais), et ben SI, j'y suis, et je reste ! (debout à gauche 3éme rang, tu me vois ? ah non tu peux pas, on voit rien de la scène - enfin je sais que c'est pas toi le narrateur hein ? mais bon tu entends ce que je veux dire - Bref je suis très clair dans mon esprit).

Du rythme, de la sueur, des 'entre parenthèses' oxygénants, du suspense encore bien huilé, du presque bestial qui nous tient en haleine ...

Si Mizanu se demande encore si y'a quelqu'un, pas d'inquiétude, y'a !


(mais en fait c'est quand même flippant de pas connaître la suite, bien joué !)

Keith Michards a dit…

On s'y croirait !

Jimmy Jimi a dit…

Hello Everett,
On sait quand même qu'une belle histoire mal racontée a toutes les chances de tomber à plat, alors qu'une simple pomme décrite par un grand styliste peut émouvoir aux larmes. De même pour une chanson des Ramones, n'importe quel groupe débutant peut s'y attaquer (ou presque), mais sans la grâce des faux frangins, ça ne sera plus du tout la même chanson (si j'ose écrire). Maintenant, je peux comprendre que tu aies davantage envie de commenter l'histoire (c'est d'ailleurs peut-être parce que le style suis (j'ose l'espérer) et tu t'en rends à peine compte (et c'est tant mieux, pour poursuivre sur Céline, il disait aussi que le travail ne doit pas se voir, que le lecteur n'est pas là pour s'occuper de ce qui se passe dans la soute). Ici, plus qu'un "simple" concert, j'ai voulu évoquer toutes les magies presque imperceptibles qui peuvent rendre la vie passionnante.

Hi Nestor,
Si c'est flippant de ne pas connaître la suite, c'est aussi difficile pour moi de vous la cacher. J'ai sans cesse envie d'accélérer, mais je dois me retenir.

Hola Keith,
Merci, c'est un beau compliment!

Everett W. Gilles a dit…

C'est vrai mais les chansons des Ramones racontent (étonnamment peut-être, mais...) toujours des histoires extraordinaires, on y revient !
''Friends with the president, friends with the pope, we're all making money selling daddy's dope''

Jimmy Jimi a dit…

Hello Everett,
Pourquoi est-ce qu'on se prend la tête, le mieux c'est encore d'avoir et le fond et la forme!

Everett W. Gilles a dit…

C'est certain !
C'est juste un commentaire en entraînant un autre en entraînant un autre, etc ...
En plus moi j'aime bien les histoires (à suivre...)

Arewenotmen? a dit…

Je prends enfin le temps de savourer ce fort moment littéraire et émotionnel en dégustant mon thé digestif...

DevantF a dit…

Bon, j'avoue que j'avais oublié que notre héros jouait du tambourin, je n'ai pas pu m'empêcher de sourire à cette image lors d'un concert furieux. Mais après tout Lester est bien monté sur scène avec sa machine à écrire.
Donc gros succès dès le premier titre et donc ce n'est pas fini. Le texte! Est ce que cela donnerait envie de fonder, monter un groupe pour connaître la scène?
Oui.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Arewenotmen?
A une époque pas si lointaine, tu notais les phrases que tu avais préférées au lieu de prendre le thé, gros paresseux!

Hi Devant,
Mais ça peut être furieux, un joueur de tambourin! J'ai choisi cet instrument pour mon personnage principal car, à l'exception notable de Mazzy Star, tout le monde semble l'avoir désormais oublié, alors qu'il tenait une belle place dans les sixties (peut-on imaginer les premiers Stones sans tambourins et maracas?). Ce n'est pas fini, en effet, il se passe tellement de choses lors d'un concert que j'ai été obligé de fragmenter.

DevantF a dit…

Tu as atteint ma limite dans l'imagination, une présence sur scène avec un tambourin... À mois d'avoir fait l'école du cirque pour y ajouter un peu de physique, je ne vois pas... Mais je me dis que c'est raconté à la première personne, donc Jimmy ressent la chaleur de la scène et cela je l'accepte... Mais moi je suis dans la salle et je n'ai d'yeux que pour....
"alors qu'une simple pomme décrite par un grand styliste peut émouvoir aux larmes" J'ai un doute en prose et la poésie m'a interdit pour l'instant. Nous avons déjà eu cette discussion à propos d'auteurs qui en font un défi.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Devant,
En fait, il est dit que le personnage débute au tambourin et au maracas, avant d'ajouter toutes sortes de percussions à sa panoplie. Visuellement, il faut voir un batteur extrêmement sobre (espèce rare, j'en conviens) soutenu par un percussionniste. C'est peu courant dans le rock, mais ça s'est pratiqué dans le jazz ou la musique brésilienne (par exemple). Je peux me tromper, mais ça ne me semble pas particulièrement incongru.
Céline, pour revenir à lui, a écrit tout un roman autour d'un bombardement: chez n'importe qui (ou presque) cela aurait tenu sur dix pages maxi, alors qu'il s'étale magnifiquement sur la longueur d'un gros livre.

Arewenotmen? a dit…

"Ne comptez pas sur moi, chères demoiselles, pour vous expliquer, ici, pourquoi les garçons sont tellement passionnés par ce qui s'agite sous vos fines dentelles"... j'ai adoré !

Till a dit…

Hi Jimmy,

le fond sans la forme, l'histoire sans le style, c'est aussi peu excitant que le sexe sans les préliminaires. Je peux tout à fait laisser tomber un bouquin avec une histoire intéressante si le style n'est pas à la hauteur.

Là j'ai senti une déferlante emporter nos héros dans un tourbillon, une tempête qui les bringuebale, les retourne. Plus de repères, plus de notion du temps. Tu m'as fait vivre un concert, le premier concert où on donne tout ce qu'on a. Bravo. Une seule chanson ? Tu me rassures, je le trouvais court ce concert.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Arewenotmen?,
Tu vois quand tu veux!

Hi Till,
J'ai l'impression que ça t'a rappelé des souvenirs, ce livre est aussi là pour ça.

Till a dit…

Malheureusement pas vraiment des souvenirs parce que je ne suis jamais allé jusqu'au concert. J'apprécie d'autant plus la lecture des aventures de Mizanu, une façon de vivre par procuration ce grand frisson.

Par contre, forcément, des souvenirs sur cette période de nos vies respectives, la musique, les découvertes, l'envie de monter un groupe etc... Our vision touched the sky

Jimmy Jimi a dit…

Dommage, c'est une si belle aventure (même si ici... suspens!)